Skip to main content

Full text of "Réflexions sur quelques causes de l'état présent de la peinture en France. Avec un examen des principaux ouvrages exposés au Louvre le mois d'Août 1746"

See other formats


tâ*  -**#  #v*y*y  ***! 

J-4/\k*  *k  ^  +&  ^t  4£%te  %k  -Sk  4*  4r4> 


flAF<^t  U_  S/Mf.Y£*WÉ 


REFLEXIONS 

SUR.  QUELQUES   CAUSES 

de   l'état  présent 
DE     LA     PEINTURE 

.  .     EN      FRANCE, 

Avec  un  examen  des  principaux  Ou~ 
vrages  expofés  au  Louvre  le  mois 
d'Aaât  1746+ 


A    TLA    HAYE, 
Chez    Jean    N  e  a  u  l  m  e* 


M,  DCC  xlyil 


\^j  E  petit  Ouvrage  avait  été 
fait  pour  par  oit  re  pendant  l'expo- 
jition  des  Tableaux  au  Louvre  } 
dans  le  mois  de  Septembre  dernier  5 
mais  des  contre-tems  que  l'on  rtavoit 
garde  de  prévoir  ,  en  ont  retardé 
IHmpreJJion  jufques  a  préfent. 

L'on  y  a  bazardées  plufieurs 
àigrejjions  ,  dont  quelques  -  unes 
font  un  peu  égalées  ,  pour  jet  ter 
quelque  variété  dans  le  Jiile  ,  é* 
éviter  la  monotonie  toujours  léthar- 
gique des  longues  differtations  fur 
un  même  jujet.  Sans  cela  ,  com- 
ment fanver  aux  Lecteurs  l 'ennui 
des  éloges  répétés  ?  on  a  efpéré  que 

Aij 


cet  ejpii  pourvoit  engager  quelqu'une 
de  nos  meilleures  plumes  également 
irerfe'e  dans  les  grâces  du  Jiile  ,  & 
dans  la  connoijfance  des  beaux  Arts  , 
a  remplir  un  projet  qui  leur  pourrait 
être  extrêmement  avantageux* 


EXTRAIT  d'une  Lettre  de 
Monfieur  de  Bonne  val  au 
Sieur  de  la  Tour  ,  impri- 
mée dans  le  Mercure  d'Octo- 
bre dernier ,  fag.   137. 


1 


L  (erolt  à  fouhaiter  qu'elle  fût  fui- 
vie  {cette  expojîtion)  d'un  examen  judi- 
cieux 3.  dans  lequel  on  feroït  fennr  le 
caraftère  de  chaque  Peintre  3  &  les  diffé- 
rentes parties  dans  lesquelles  ils  excel- 
lent. Je  conviens  que  ce  projet  exigerait 
de  V Auteur  de  l'examen  beaucoup  de 
connoijfance  ^  &  fur  tout  de  cette  aménité 
de  ftile ,  qui  fait  rendre  la  critique  utile 
fans  bleffer.  Un  pareil  Ouvrage  infirui- 
toit  par  degrés^  &  infenfiblement  met- 
trait  les  Spectateurs  qui  ont   quelque 

A  iij 


génie  y  en  état  âe  ne  pas  bazarder  des 
jugement  aujfî  bizarres  que  ceux  que 
j'ai  quelquefois  entendus.  La  beauté 
du  coloris  ne  féduiroït  plus  affez,  pour 
faire  grâce  a  la  peftnteur  des  Draperies  y 
&  à  V irrégularité  de  l'Ordonnance*  Om 
ne  confondroit  pas  la  dureté  avec  la  force 
de  Vexprejjion  ;  les  grâces  avec  les  mlg- 
nardifes ,  &  ainfi  du  refie. 


REFLEXIONS 

S  U  K 

Q^U  E  L  Q.U  £  S'       CAUSES 

de  l'état  préfent  de  la  Pein- 
ture en  France* 

Avec  un  Examen  des  principaux 
Ouvrages  expo/es  m  "Louvre  U 
mois  d'Août  174e* 

'Amour  de  la  Peinture  $c  degF 
beaux  Arts  >  &  le  zèle  pour 
leur  avancement ,  font  les^ 
feuls  motifs  qui  font  paraître  en  pu^ 
Uic  ces  fentimens-ci  >  fiur  les  Ouvrages 


1  Ref exions 

expofés  cette  année  au  Louvre.  Il  s'en 
faut  beaucoup  que  l'on  prétende  les 
donner  comme  des  déçifîons.  Si  l'on 
penfe  que  rien  ne  feroit  plus  abfurde 
que  le  projet  de  vouloir  aflfujettir  le 
jugement  des  autres  au  lien  propre  j 
Ton  croit  en  même  tems  qu'il  pourroit 
être  très  -  avantageux  au  progrès  des 
Arts ,  comme  à  celui  des  Lettres ,  de 
propofer  des  réflexions  critiques ,  mais 
modeftes ,  fans  pafïîon  &  fans  aucun 
intérêt  perfbnnel  ,  qui  puflènt  faire 
appercevoir  aux  Auteurs  leurs  défauts, 
&  les  encourager  à  une  plus  grande 
perfection. 

Un  Tableau  expofé  eft  un  Livre  mis 
su  jour  de  Pimpreflîon.  Ceft  une  piè- 
ce repréfentée  fur  le  théâtre  :  chacun  à 
le  droit  d'en  porter  fon  jugement.  Ce 
font  ceux  du  Public  les  plus  réunis ,  êc 
les  plus  équitables  que  l'on  a  recueilli  >. 


fur  U  Peinture.  % 

$c  que  l'on  préfènte  aux  Auteurs,  Ôc 
point  du  tout  le  ûcn  propre  :  perfuadé 
que  ce  même  Publie ,  dont  les  juge- 
rnens  font  û  fouvent  bizarres  y  &  injuk 
ses  par  leur  prévention  ou  leur  préci- 
pitation ,  fe  trompe  rarement'  quand 
toutes  fes  voix  fe  concilient  fur  le  mé^ 
rite  ou  fur  les  défauts  de  quelque  ou~ 
vrage  que  ce  foit». 

Ceft  avec  les  égards  les  plus  fcruW 
puleux ,  Se  l'intention  très  réelle  de  ne 
défobliger  perfonne  ,  que  l'on  rapporte 
les  jugemens  des  connoifïeurs  judicieux, 
éclairés  par  des  principes  y  &  encor  plus 
par  cette  lumière  naturelle  que  Pou 
appelle  fentiment ,  parce  qu'elle  fait 
fentir  au  premier  coup  d'œil  la  difïb- 
nance  ou  l'harmonie  d'un  ouvrage ,  8c 
e'eft  ce  fentiment  qui  eft  la  bafè  du> 
goût  3  j'entens  de  ce  goût  ferme  &  in* 
variable  du  vrai  beau  ,  qui  ne  s'ac.«* 


4  Réflexions 

quiert  prefque  jamais,  dès  qu'il   n'eft 

pas  le  don  d'une  heureufe  naifïànce. 

Peu .  d'Auteurs,  arriveront  à  une  ré- 
putation du  premier  ordre  ,  fans  le 
fècours  des  confeils  &  de  la  critique 
non  -  feulement  de  leurs  Confrères  , 
dont  la  plupart  ne  jugent  des  beautés 
&  des  défauts  de  leur  Art  que  relati- 
vement à  la  froideur  &  à  la  fécherefïè  des 
règles ,  ou  par  une  routine  de  compa- 
raifôn  â  leur  propre  manière ,  fbuvent 
uniforme  &  répétée ,  mais  par  la  cri- 
tique d'un  fpectateur  défîntereffë  Se  éclai- 
ré ,  qui  fans  manier  le  pinceau  ,  juge 
par  un  goût  naturel  &  fans  une  atten- 
tion fervile  aux  règles.  Voilà  ceux  que 
l'on  ne  fauroit  trop  confulter  fur  la  con- 
venance des  tons  ,  fur  le  choix  des  dé- 
tails, fur  leurs  effets  particuliers  &  gé- 
néraux ,  &  fur  l'harmonie  de  ce  bel 
cnfemble,  qui  fait  le  charme  des  ïeux. 


fur  la  Peinture.  y 

Plufieurs  Peintres  manquent  encor 
d'arriver  à  cette  réputation  du  premier 
ordre  dont  je  viens  de  parler  ,  parce 
qu'ils  manquent  dans  le  choix  des 
Sujets,  C'eft  l'écuê'il  ordinaire  des 
Peintres  médiocrement  verfés  dans  l'Hit 
toire  :  ou  de  ceux  qui  préfumant  de 
leurs  forces  ,  &  ignorant  les  bornes 
de  leurs  talens  ,  veulent  briller  dans 
tous  les  genres  ,  fou  vent  par  une  vanité 
exceflîve  ,  quelquefois  aufïi  par  une 
balïè  envie  des  fuccès  de  leurs  Confrè- 
res dans  d'autres  genres  que  le  leur. 
Cette  jaloufîe  ri  méprifable  à  l'homme 
de  génie ,  cette  fille  odieufe  de  l'or- 
gueil ,  &  fouvent  fœur  de  la  médio- 
crité ,  combien  a-t'elle  féduits  de  bons 
Ecrivains  qui  ont  voulu  traiter  toutes 
fortes  de  matières ,  &  parler  pour  des 
génies  univerfèls  ?  Un  efprit  (*)  du  (*)Mr. 
premier  ordre  du  fiécle  dernier  »  &  tendis/ 


6  Refexiotn 

dont  celui-ci  a  encore  le  bonheur  de 
s'illuftrer  ,  célèbre  dans  tous  les  genres, 
a  fait  beaucoup  de  mauvais  imitateurs , 
qui  auroient  peut-être  été  eux-mêmes 
des  modèles ,  s'ils  avoient  fu  fe  fixer  dans 
la  fphere  de  leur  capacité. 

Je  reviens  au  choix  des  Sujets  dont 
dépend  le  plus  fouvent  la  fortune  des 
Tableaux.  Quoique  le  nombre  foit 
prefque  infini  de  ceux  que  nous  offrent 
l'Hiftoire  facrée,  la  Profane  &  la  Fable, 
nous  voïons  tous  les  jours  des  Auteurs 
indolens ,  plagiaires  nés  ,  s'attacher  à 
des  Sujets  traités  mille  &  mille  fois. 
Ignorent -ils  l'empire  de  la  nouveauté 
fur  notre  cfpritj  &  qu'elle  tient  lieu 
tous  les  jours  <le  mérite  à  nos  écrits  ? 
Il  n'eft  donné  qu'aux  génies  vaftes  ,  Se 
pénétrans  de  découvrir  dans  des  Sujets 
épuifés  aux  ïeux  des  efprits  vulgaires , 
une  infinité  de  circonftances  neuves  3 

intéreiîanres , 


fur  la  Peinture,  y 

-intérefïàntes ,  qui  liées  à  l'action  prin- 
cipale ,  &  préfentées  fous  cies  aipeéts 
nouveaux  Se  ingénieux ,  favent  rajeunir 
ces  Sujets  vidés  en  apparence,  par  le 
choix  d'un  plus  beau  moment,  &  d'un 
nouvel  intérêt.  Un  Auteur,  en  Peinture 
comme  en  poè'lîe  ,  doit  mefurer  Ion 
projet  à  fès  forces  ,  pour  ne  pas  tomber 
dans  le  défaut  de  certains  Peintres  » 
qui  fe  flatent  de  déguifer  avec  les  char- 
mes de  la  nouveauté  des  Sujets  tombes 
de  vieillerie  :  mais  ne  pouvant  imagi- 
ner des  beautés  neuves  dans  leurs  corn- 
pofitions  ,  où  ils  défirent  cependant  (bû- 
tenir  une  certaine  réputation  d'efprit 
méritée  &  dont  ils  fe  piquent:  trop 
fenfés  d'ailleurs  pour  ajouter  des  Epifo- 
des  déplacés,  fur  tout  dans  des  Sujets 
facrés  &  d'un  Hiftorique  inviolable , 
ils  arToiblinent  l'euentiei  de  l'action  , 
pour  y  fubftituer  des  attitudes  violen- 

B 


8  Repxions 

tes  cV  exaggérées  :  ils  jettent  fur  les  vi" 
fages ,  ôc  particulièrement  dans  les  re 
gards  une  expreiïîon  outrée  qui  devien 
une  grimace  auiïi  indécente  dans  h 
Sacré  ,  que  comique  dans  le  Profane. 
De  tous  les  genres  de  la  Peinture 
le  premier  fans  difficulté  eft  celui  d( 
l'Hiftoire.  Le  Peintre  Hiitorien  eft  feu1 
le  Peintre  de  l'ame  ,  les  autres  ne  pei- 
gnent que  pour  les  ïeux.  Lui  feul  peut 
mettre  en  œuvre  cet  enthoufiafme  >  ce 
feu  divin  qui  lui  fait  concevoir  fes 
Sujets  d'une  manière  forte  8c  fublime  : 
lui  feul  peut  former  des  Héros  à  la 
poftérité  ,  par  les  grandes  actions  8c  les 
vertus  des  hommes  célèbres  qu'il  pré- 
lente  à  leurs  ïeux ,  non  par  une  froide 
lecture ,  mais  par  la  vue  même  des 
faits  &  des  acteurs.  Qui  ne  connoît 
l'avantage  de  ce  fens  fur  tous  les  au- 
tres ,  8c  l'empire  qu'il  a  fur  nôtre  ame 


fur  la  Peinture.  5> 

pour  lui  porter  l'imprefïion  la  plus  fou- 
daine  ôc  la  plus  profonde? 

Mais  où  trouveront  nos  jeunes  élevés 
la  chaleur  ôc  le  feu  de  ces  éloquentes 
exprefïions  ,   la  fource  de  ces  grandes 
idées  ,  de  ces   traits  frapans  ou    inté- 
reflàns,  qui  cara&érifent  le  vrai  Peintre 
d'Hiftoire  ?    Ce   fera  dans   les  mêmes 
fonds  où  nos  meilleurs  Poètes  ont  tou- 
jours puifé.   Chez  les  grands  écrivains 
de  l'antiquité  :  dans  l'Iliade  &  POdifïee 
d'Homère  Ci  fécond  en  images  fublimes  : 
dans  l'Eneïde  il  riche  en  actions  héroï- 
ques y  en  pathétiques  narrations  ôc  en 
grands  fentimens  :  dans  l'art  Poétique 
d'Horace  ,  thréfor  inépuifable  de  bon 
fens  pour    la  conduite    d'un   plan  de 
Tableau  épique  ou  tragique  ,  dans  celui 
de  Defpreaux  fon  imitateur  ,   chez  le 
TalTe,  chez  Milton.     Voilà  les  hom- 
mes qui  ont  ouvert  le  cœur  humain  -y 

Bij 


10  Réflexion  f 

qui  ont  fa  ^  voir ,  8c  nous  rendre  Ces: 
troubles ,  fes  fureurs,  Tes  agitations  avec 
une  éloquence  &  une  vérité  qui  nous 
inftruifent ,  en  nous  comblant  de  plaifuv 

Le  Peintre  Hiftorien  eft-il  religieux? 
Veut-iî  confacrer  Ion  pinceau  aux  Sujets 
de  piété  ?  Quelle  fouree  abondante  de 
grands  évênemens  y  du  feul  merveilleux 
vrai  8c  refpe&able  ,  8c  du  pathétique 
majeftueux,  que  dans  nos  Livres  fa- 
crés  j  8c  fur  tout  dans  les  cinq  grands 
Prophètes ,  Ifaïe  ,  Ezechiel  ,  Jérémie  3 
Daniel  ,  8c  le  Prophète  Roi  ?  N'eft- 
ce  pas  ce  dernier  qui  a  infpiré  le  célèbre 
Roufièau  ,  ce  poë'te  fi  fublime  8c  fi 
exa<fk ,  dont  la  force  8c  la  beauté  du 
génie  ont  fait  tant  d'honneur  à  fon  fié— 
cle  8c  à  la  Poè'fie  françoife  !  N'eft-ce 
pas  à  David  qu'il  doit  les  beautés  ra- 
vinantes de  fes  Odes  facrées  ? 

Tout  le  monde  fait  le  rapport  parfak 


fur  la  Peinture.  ïi 

du  Peintre  avec  le  poëte.  Il  fera  fans 
chaleur  Se  fans  vie ,  Se  fori  génie  fera 
bientôt  refroidi  ,  s'il  ne  l'échauffé  par 
un  commerce  opiniâtre  avec  ces  grands 
hommes  dont  je  viens  de  parler.  Quand 
je  confeille  cette  étude  à  nos  Peintres 
d'Hiftoire  ,  je  fuppofe  qu'elle  a  été  pré- 
cédée Se  étaïée  de  celle  de  nos  Peintres 
anciens  Se  modernes  les  plus  célèbres 
dans  ce  genre.  Raphaël  5  Dominiquin  > 
les  Carraches  3  Jule  Romain  3  Piètre  de 
Cortone3  Sec.  Se  parmi  nous,  Rubens, 
le  Poufîin ,  le  Sueur ,  le  Brun  >  Coypel  3 
le  Moine  dans  fon  plat- fond  de  Ver- 
failles  ,  chef-d'œuvre  de  Part  ?  Se  com- 
parable à  tout  ce  qui  a  été  fait  de  plus 
beau  en  ce  genre  ,  foit  en  France  ,  foit 
en  Italie  :  enfin  de  tous  les  excellens 
ouvrages  dont  il  doit  avoir  médité  pro- 
fondément Pœconomie,  l'ordonnance., 
les    effets  de   leurs  fàvantes  compoil- 

B  iij 


**  Réflexions 

rions  y  Se  copiés  les  morceaux  les  plus 
eftimés  pour  le.  deflèin  Se  pour  le  colo- 
ris. Sans  une  collection  abondante  de 
ces  excellens  matériaux ,  il  ne  parvien- 
dra jamais  à  conftruire  l'édifice  folide 
Se  durable  d'une  grande  réputation. 

Après  avoir  donné  aux  Peintres  Hif- 
toriens  le  rang  Se  les  éloges  qu'ils  mé- 
ritent ,  que  ne  puis  -  je  les  prodiguer  à 
ceux  d'aujourd'hui,  Se  les  élever,  ou 
du  moins  les  comparer  à  ceux  du  fiécle 
pafle  î  fiécle  heureux  !  où  le  progrès  Se 
la  perfection  dans  tous  les  Arts  avoienc 
rendue  la  France  rivale  de  l'Italie  !  Je 
iuis  cependant  bien  éloigné  de  penfer 
que  le  Génie  François  foie  éteint,  Se 
fe  vigueur  entièrement  énervée.  Les 
Peintres  célèbres  de  nôtre  Ecole  que  je 
viens  de  nommer ,  Se  qui  ont  égalé  le 
fiécle  de  Louis  XIV.  à  celui  de 
Le  on  X.   dans  les  beaux  Arts  ,   Se 


fur  la  Peinture:  r$ 

même  furpaffë  par  leur  nombre'  ,  trou- 
veroient  encore  aujourd'hui  des  émules  » 
û  le  goût  de  la  nation  n'avoir  beau- 
coup changé  ,  &  fi ,  aux  révolutions. 
qu'amenent  nécelïàirement  dans  les  Etats 
comme  dans  les  efprits  la  fuccefïion  des- 
années ,  Se  l'empire  de  la  nouveauté, 
il  ne  s'y  étoît  joint  un  goût  exceffif  pour 
un  embellifïèment  dont  le  fuccès  a  été 
extrêmement  nuifible  à  la  Peinture. 

Les  Glaces ,  dont  nous  regarderions 
le  récit  des  effets  comme  un  conte  de 
Fée,  Se  une  merveille  au-defïus  de 
toute  croïance  ,  il  la  réalité  ne  nous  en 
étoit  devenue  trop  familière  ,  ces  Glaces 
qui  forment  des  tableaux  où  l'imitation 
eft  fi  parfaite  qu'elle  égale  la  nature  mê- 
me dans  l'illufion  qif  elle  fait  à  nos  ïeux; 
ces  Glaces  afïèz  rares  dans  le  fiéclepafïe, 
&:  extrêmement  abondantes  dans  celui- 
ci  ,  ont  porté  un  coup  funefle  à  ce  bel 


M  Réflexions 

Art  ,  Se  ont  été  une  des  principales  cau- 
fes  de  fbn  déclin  en  France  ,  en  ban- 
niflànt  les  grands  fu jets  d'Hiftoire  qui 
faifoient  Ton  triomphe  ,  des  lieux  dont 
ils  étoient  en  pofleffion ,  Se  en  s'empa- 
rant  de  la  décoration  des  Salions  Se  des 
Galleries.  J'avoue  que  les  avantages 
de  ces  Glaces  qui  tiennent  du  prodige  3 
méritoient ,  à  beaucoup  d'égards ,  la 
faveur  qu'elles  ont  obtenue  de  la  mode. 
Percer  les  murs  pour  en  aggrandir  les 
appartenons  ,  'St  y  en  joindre  de  nou- 
veaux -,  rendre  avec  ùfure  les  raïons 
de  la  lumière  qu'elles  reçoivent  3  (bit 
celle  du  jour  3  ou  celle  des  flambeaux , 
comment  l'homme  ennemi  né  des  ténè- 
bres ,  Se  de  tout  ce  qui  peut  en  occa- 
fionner  la  trifteflè  3  auroit-îl  pu  fe  dé- 
fendre d'aimer  un  embelliflèment  qui 
l'égaie  en  l'éclairant,  Se  qui  en  trom- 
pant fes  ïeux  ,  ne  le  trompe  point  dans 


fur  la  Peinture.  i| 

l'agrément  réel  qu'il  en  reçoit  ?  Gom- 
ment lui  préferera-fil  les  beautés  idéales 
de  la  Peinture  fouvent  fombres,  dont 
le  plaifir  dépend  uniquement  de  l'illu- 
fion  à  laquelle  il  faut  fe  prêter ,  &  qui 
n'affecte  ni  l'homme  greffier  ni  l'igno- 
rant ? 

Le  fuccès  rapide  d'une  découverte  Ci 
favorable  au  plaifâr  général ,  Se  au  goût 
particulier  d'une  nation  avide  de  tout 
ce  qui  eft  brillant  &  nouveau ,  ne  doit 
point  nous  furprendre  malgré  fes  agré- 
mens  purement  ma ■  AAds  y  Se  bornés 
entièrement  au  plriiir  des  ïeux.  1/inté- 
rêt  a  tout  mis  en  œuvre  pour  en  per- 
fectionner les  manufactures  3  &  pour  les 
multiplier  à  l'infini.  Mais  comme  il 
étoit  impofïible  d'en  revêtir  totalement; 
les  murs  des  grands  appartenons  5  foit 
à  caufe  des  frais  coniîdérables ,  foit  par 
le  dégoût  quJauroit  caufé  l'uniformité  a 


1 5  Réflexions 

on  a  imaginé  d'en  remplir  les  inter- 
valles par  des  vernis  de  couleurs  cou- 
chés fur  des  panneaux  enrichis  de  do- 
rure ,  &  même  fans  dorure  y  l'éclat  &c 
le  poli  de  ces  vernis  agréables  étant 
après  les  Glaces  ce  qui  réfléchit  le  plus 
la  lumière. 

La  fiencc  du  Pinceau  a  donc  été  for- 
cée de  céder  à  l'éclat  du  verre  j  la  faci- 
lité méchanique  de  fa  perfection  ,  &  fon 
abondance  ont  exilé  des  appartemens 
le  plus  beau  des  Arts ,  à  qui  lJon  n'a 
latiTé  pour  azile  que  quelques  miféra- 
bles  places  à  remplir  ,  des  defïus  de 
portes ,  des  couronnemens  de  chemi- 
nées Se  ceux  de  quelques  trumeaux  de 
Glace  raccourcis  par  ceconomie.  Là  , 
refîèrrée  par  le  défaut  d'efpace  à  de  pe- 
tits fujets  mefquins  hors  de  la  portée  de 
l'œil  3  la  Peinture  eft  réduite  dans  ces 
grandes  Pièces    à    des   repréfentations 


fur  la  Peinture.  17 

froides  ,  in  lipides  Se  nullement  intérêt 
fàntes  :  les  quatre  Elemens ,  les  Saifons  t 
les  Sens ,  les  Arts ,  les  Mufes ,  &  au- 
tres lieux  communs  triomphes  du  Pein- 
tre plagiaire ,  &  ouvrier ,  qui  n'exigent 
ni  génie ,  ni  invention  ,  Se  pitoïable- 
ment  tournés  Se  retournés  depuis  plus 
de  vingt  ans  en  cent  mille  manières. 

Je  devrois  pafïèr  fous  filence  pour 
l'honneur  de  ce  bel  Art,  les  lieux  igno- 
bles où  la  Peinture  s'eft  réfugiée  depuis 
fon  exil  des  appartenons.  Nos  pères  au- 
roient-ils  pu  prévoir  qu'un  jour  parmi 
lapoufîière  des  angars ,  &  les  ordures 
des  remifes  ,  des  Curieux  viendroîent 
admirer  les  beautés  d'un  favant  pin- 
ceau dans  ces  vils  réduits  ?  Rien  n'eft 
plus  vrai  cependant  qu'avant  que  les 
Camaïeux  eulïènt  pris  le  defïus  pour 
l'embellifïèment  des  Carrofïès ,  ony  a 
vu  pendant  plusieurs  années  des  Ta- 


1 8  Reflexions 

bleaux  coloriés  ,  dJun  prix  de  d'une 
perfection  fupérieure ,  ou  du  moins 
égale  à  tous  ceux  qui  ornoient  les  ap- 
partemens  des  maîtres  de  ces  maifons, 
Ces  beaux  Tableaux  n'étoient  tirés  de 
leurs  honteux  étuis  que  pour  être  traî- 
nés dans  les  rues,  y  eiïuïer  les  outrages 
de  la  boue ,  &  être  expofés  tous  les 
jours  fans  aucune  défenfe  à  être  mis  en 
pièces  par  le  choc  des  plus  fales  tom- 
beraux  ,  des  charrettes  ,  ou  par  l'allure 
ïmpétueufe  de  ces  mêmes  Carrofïès , 
enfin  par  les  embarras  infinis  des  voies 
publiques  inévitables  dans  une  auiîî 
grande  ville.  Que  doivent  le  plus  «4- 
tUmc  Haêer  les  Etrangers  ?  ou  le  mépris  igno- 
minieux, &  l'abus  ridicule  chez  nous 
de  ce  bel  Art ,  ou  l'excès  Se  la  bizarre- 
rie de  nôtre  luxe  porté  à  un  Ci  haut 
degré  d'extravagance? 

Il  refont  encore  aux  Sujets  de  Fabk 

ou 


fut  U  Peinture.  i£ 

ou  d'Hiftoire  un  champ  fertile  Se  favo- 
rable au  Génie  du  grand  Peintre  dans 
la  fience  des  percés  ,  &  des  raccourcis , 
&:  où  tout  l'art  magiqae  de  la  Peripec- 
tive    pouvoir  être  mis  en   œuvre ,  8c 
c'étoient  les  fiât  -  fonds.  Mais  le  Public 
accoutumé  à  l'éclat  des  Glaces  que  mal- 
heureufement  on  n'a  pu  encore  placer 
dans  les  nouveaux  ,  &c  que  je  ne  défèC- 
pere  pas   dJy    voir   admirées    quelque 
jour  3  a  préféré  à  des  beautés  du  refïort 
de  Pefprit >  &  qui  demandoient  de  la 
réflexion    ôc  quelques    connoiflances  > 
la  blancheur  matérielle  du  Plâtre  décou- 
pé en   fîligrame  dans  la  naiflànce  des 
vouflures  >  dans  les  angles ,  Sç  dans  les 
points  du  milieu  par  des  ornemens  de 
la  même  matière  ,  fouvent  dorés  >  quel- 
quefois  peints  3    la    plupart  grotefques 
imperceptibles ,  que  Voltaire  a  critiqués 
fprt  à  propos  dans  fon  Temple  du  Cou:, 

G 


't&  Réflexions 

Je  couvrirai  Plat-fonds ,  Voûtes  > 

Vouffures 
Par  cent  magots    travaillée   avec 

foin  , 
D'un  pouce  ou  deux  pour  être  vus 

de    loin. 

Et  dans  un  autre  endroit  y 


Le    tout  glace' ,    verni  3  vlan* 

chi  ,    doré  ; 
Et  des  Badauds  a  coup  fur  Ad- 
mire'. 

Voilà  les  principales  caufes  du  déclin 
préfent  de  la  Peinture.  Je  ne  doute 
point  qu'elles  n'aient  forcés  plufieurs 
élevés  j>  dans  les  mains  defquels  le  Génie 
avoir  mis  fes  pinceaux  ,  d'abjurer  leur 
talent,  ôc  de  fe  livrer,  ainfi  que  nos 
auteurs  en  ouvrages  d'efprit,  aux  fujets 
futiles  de  la  mode  Se  du  tems  ;  ou  bien 
au  genre  le  plus  lucratif  dans  cet  Art? 


fut  U  Peinture,  0 

&  c'e&  depuis   plufeurs  années   celui 
du  Portrait. 

Un  Peintre  attaché  aujourd'hui  obfti- 
nément  à  l'Hiftoire  par  l'élévation  de 
fes  penfées ,  de  par  la  noblelïè  de  {es 
expreiïions,  fe  verra  réduit  à  quelques 
ouvrages  pour  les  Eglifes ,  les  Gobe- 
lins,  ou  a  un  très -petit  nombre  de 
Tableaux  de  chevalet  que  l'on  a  prêt 
que  entièrement  proferits  des  ameuble- 
mens  ,  parce  qu'ils  gâtent  >  dit-on ,  les 
capiflèries  de  foïe  ,  dont  on  préfère  à 
préfent  le  luftre  ôc  l'uniformité  aux 
favantes  variétés  du  Pinceau  y  ôc  à  tou- 
tes les  productions  de  l'efprit.  Quelle 
fera  la  rerîburce  du  Peintre  Hiftorien 
s'il  n'eft  pas  en  état  de  nourrir  fa  fa- 
mille de  mets  plus  folides  que  ceux 
de  la  gloire  ?  Il  facrifîera  à  fes  befoins 
fon  goût  favori  3c  (es  talens  naturels , 
pour  ne  pas  voir  fa  fortune  rempanté 

C  ij 


Xi  Réflexiôns- 

malgré  fa  fîence  Se  Tes  travaux  3  vis-à- 
vis  de  la  rapide  opulence  de  Tes  Con- 
frères en  Portraits  3  Se  fur  tout  au  Paf- 
tel.  Il  étouffera  la  voix  de  fon  génie  > 
Se  détournera  Ion  pinceau  de  la  route 
de  la  gloire  pour  fuivre  celle  qui  mené 
aux  aifances  de  fon  état.  Il  fourTrira  à 
la  vérité  pendant  quelque  tems  de  fe 
voir  forcé  de  flater  un  vifage  minaudier 
fbuvent  difforme  ou  furanné,  prefque 
toujours  fans  phifionomie  ;  à  multi- 
plier des  êtres  obfcurs^fans  caractère , 
fans  nom ,  fans  place ,  Se  fans  mérite  j 
fouvent  méprifés  ,  quelquefois  même 
odieux,  ou  tout  au  moins  indifférens 
au  Public  ,  à  leur  poftérité ,  à  leurs  héri- 
tiers même  qui  abandonneront  leurs 
traits  à  la  pouiTîère  du  galetas ,  Se  à  la 
dent  des  fouris  ;  ou  qu'ils  verront  pafïer 
froidement  d'un  encan  à  la  décoration 
des  chambres  garnies  >  pour  en  illuf- 


fur  ta  Peinture.  i$ 

trer  les  Bergames.  Ne  nous  étonnons 
donc  point  que  le  Portrait  foit  le  genre 
de  Peinture  aujourd'hui  le  plus  abon- 
dant y  le  plus  cultivé  Se  le  plus  avanta- 
geux aux  pinceaux  même  les  plus  mé- 
diocres. Son  crédit  eft  très  ancien  £  & 
il  eft  fondé  fur  plufieurs  bonnes  raifons. 

Quoique  le  goût  général  d'à  préfent 
pour  les  beautés  d'une  tapiflèrie  de 
Damas ,  relevée  par  des  bordures  riche- 
ment dorées  Se  agréablement  fculptées  3 
ait  banni  des  appartenons ,  comme  un 
ornement  ennuïeux  8c  fuperflu  y  les 
tableaux  d'Hiftoire ,  ceux  en  Portraits 
ont  fu  les  remplacer  ,  &  obtenir  une 
exception  de  la  mode  ,  &  de  fes  capri- 
ces en  leur  faveur. 

L'amour  propre  ,  dont  l'empire  eft 
encore  plus  puifîànt  que  celui  de  la 
mode  y  a  eu  l'art  de  préfenter  aux  ïeux 
&  fur  tout  à  ceux  des  Dames ,  des  mi- 

C  iij: 


24  Réflexions 

roirs  d'elles-mêmes  d'autant  plus  en> 
chanteurs  qu'ils  font  moins  vrais ,  8c 
que  par-  là ,  ils  ont  chez  le  plus  grand 
nombre  la  préférence  fur  les  Glaces  trop 
fincères.  Et  en  effet  3  quel  fpedtacle  eft 
comparable  y  pour  une  beauté  réelle  ou 
imaginaire ,  à  celui  de  fe  voir  éternelle- 
ment avec  les  grâces  &  la  coupe  d'Hebé 
la  Déeiïè  de  la  jeunefïè  ?  d'étaler  tous 
les  jours  fous  l'habit  de  Flore  les  char* 
mes  naiflàns  du  Printems  dont  elle  eft 
l'image  ?  ou  bien  parée  des  attributs  de 
la  Déefîè  des  forêts  3  un  carquois  fur  le 
dos  3  les  cheveux  agités  avec  grâce  ,  un 
trait  à  la  main,  comment  ne  fe  pas  croire 
la  rivale  de  ce  Dieu  charmant  qui  blelîè 
tous  les  cœurs  ?  L'exemple  des  vrai- 
ment belles  à  qui  les  attitudes  avanta- 
geufes  de  ces  Métamorphofes  ont  encore 
ajoutée  une  nouvelle  beauté ,  a  féduite 
la  moins  aimable.   Elle  s'efl  imaginée 


fur  U  Peinture.  vf 

ies  mêmes  grâces  dès  qu'elle  auroit  les  , 

mêmes  ajuftemens.  Elle  n'a  pas  douté 

que  la  jeunefïè  d'Hebé  la  vengeroit  des 

iafultes  du  Tems  le  moins  galant  de  le 

plus  impoli  de  tous  les  Dieux.  Elle  s'effc 

aifément  perfuadée    que  nôtre   Sexe  , 

toujours  complaifant  3-  forcé    de   voir 

chez   elle  deux  phifionomies  y  préfére- 

roit  celle  de  la   Déefïè  enfantine  >  à  la 

Divinité  douairière  y  ou  du  moins  qu'il 

lui  tiendroit  compte  de^jkr  efforts ,  Se 

du  tems  qu'elle  perd  tous  les  jours  à 

tâcher   de  lui  reflèmbler.  Après   tout , 

eii-il   une  erreur  plus  pardonnable  au 

beau  Sexe  ?  Si  l'enfer  des  jolies  femmes 

c'eft  la  vieillerie ,.  au  fentiment  d'un  des 

plus    beaux    efprits    de    la    Cour    de 

Louis  XIV..  (*)  pourquoi  les  Arts,    ,^  ^ 

&  fur  tout  la  Peinture ,  ne  s'efforcera-  Jqe   P00 
5  de  la 

t'elle  pas  de  leur  cacher  le  déclin  d'un  R°che= 
état  qui  fait  tout  leur  bonheur  ?  &  de  caulL 


$6  Réflexions 

leur  éloigner,  ou  même  leur  dérober 
entièrement ,  fi  la  chofe  eft  poflîble  ,  k 
vue  de  leur  plus  grand  fupplice  ? 

Voici  de  quelle  façon  le  goût  de  ces 
traveftiflèmens  divinifés  s'allume  fubi- 
tement  chez  la  plupart.  Leur  prompt 
fuccès  chez  les  jolies  femmes  frape 
vivement,  foit  envie  ou  jaloufie,  celles 
qui  le  font  peu.  Elles  s'informent  avec 
avidité  du  nom  de  l'auteur  de  la  Mé- 
tamorphofe.  On  vole  chez  lui.  Il  a  peu 
de  peine  à  perfuader  des  miracles  dont 
on  eft  plus  convaincu  que  lui-même,. 
Il  préfente  la  lifte  de  la  Cour  célefte. 
On  choiiit  la  divinité ,  on  l'ébauche  ,. 
on  la  finit.  Enfin  elle  fait  ion  entrée 
dans  le  temple  où  elle  doit  être  adorée  ; 
à  peine  arrivée ,  tout  applaudit ,  tout 
crie  ,  c'eft  vous-même ,  rien  n'y  man- 
que que  la  parole.  C'eft  beaucoup. 
Cette  parole  lui  feroit  fouvent  néee£* 


fur  la  Peinture.  x? 

faire  pour  dire  3  je  fuis  une  telle.  Enfin 
l'extafe  &£  le  raviflèment  finifïènt  par 
celui  du  Peintre  qui  s'en  retourne  célé- 
bré y  admiré ,  &c  bien  païé: 

Au  reffce  ,  je  ne  crains  point  que 
ceux  d'aujourd'hui  qui  travaillent  en 
ce  genre  ,  me  fafïènt  un  procès  fur 
quelques  réflexions  un  peu  égalées  3  &€ 
qu'elles  dégoûtent  le  Public  de  leur 
talent.  Tant  qu'ils  auront  l'art  de  fla- 
ter  leurs  originaux  0  avec  allez  d'adreflè 
pour  les  perfuader  qu'ils  ne  les  flatent 
point  y  l'amour  propre  chez  les  deux 
fèxes  leur  eft  un  garant  allure  d'un  fuc- 
cès  confiant  &  d'une  fortune  au  delïus 
de  la  médiocre* 

C'efl  à  ce  dernier  avantage  qu'eft 
due  l'émulation  >  Ôc  les  productions  -fur- 
abondantes  que  nous  voïons  tous  lei 
jours  en  ce  genre.  Les  Sieurs  Nattier, 
Tocqué  >.  la  Tour  K  Aved  3  N-onnote  ôs 


%$  Referions 

bien  d'autres  (  je  ne  parle  point  des 
anciens  dont  la  réputation  eft  faite  ) 
nous  confoleront  peut-être  des  Ri- 
gaud  ,  Largillere  ,  de  Troye.  On  trou- 
ve chez  eux  un  pinceau  agréable ,  de 
la  vie  Se  de  la  vérité  dans  les  teintes 
des  chairs  ,  une  imitation  fingulière  des 
étoffes  de  toute  efpéce  ;  chez  quelques- 
uns  une  aflèz  belle  ordonnance,  &  de 
la  fience  dans  les  couleurs  locales  &  la 
diftfibution  des  parties  qui  en  compo* 
fent  les  fonds,  &  les  détails. 

Le  nombre  des  Peintres  en  Paltel  eft 
infini.  Mais  il  efl  bien  à  craindre  que 
la  facilité  &  la  célérité  de  fes  fragiles- 
craïons  ne  fafîènt  négliger  l'huile  beau- 
coup plus  lente  à  la  vérité ,  mais  infi- 
niment plus  favante ,  &  incomparable 
pour  la  durée. 

Après  ce  que  je  viens  de  remarque* 
fur  les  obftacles  au  progrès  de  la-  Peûw 


fur  U  Peinture  ï$ 

tm*e  dans  l'Ecole  Françoife  y  foit  par  le 
peu  d'encouragement  &  de  fortune 
pour  les  beaux  Arts  ,  foit  par  le  défaut 
de  Mécènes  zélés  ou  intelligens ,  foit 
enfin  par  les  nouvelles  décorations  de 
l'intérieur  des  bâtimens .,  je  ne  vois 
qu'une  refïburce  favorable  à  nos  Pein- 
tres Hiftoriens  3  &  ce  feroient  les  Ca- 
binets merveilleux  des  Amateurs  de  ce 
bel  Art.  Ce  n'eft  qu'à  ces  Curieux  cé- 
lèbres, ces  magnifiques  protecteurs  du 
bon  goût ,  les  fléaux  ,du  médiocre  & 
du  frivole ,  que  l'Hiftoire  pourroit  être 
redevable  du  rétablifïèment  de  fbn  hon- 
neur &  de  fes  progrès.  Les  Cabinets  de 
Meflîeurs  de  Julienne .,  Blondel  •  de 
Gagny,  de  la  Boiiliere ,  &  quelques 
autres, leur  marqueraient  chez  eux  les 
places  les  plus  honorables.  Leur  choix 
épuré  des  meilleurs  ouvrages  anciens  ôc 
modernes,  les  excellens  morceaux  4^ 


50  Refexkns 

fculpture   en  bronze   Se   en    marbre  ; 
embellis  par  le  brillant  des   pâtes   de 
Kiangfi  &.  de  Drefde  qui  leur  font  afïb- 
ciées,  la  tournure  neuve  Se  recherchée 
de  leurs  montures ,  l'ordonnance   élé- 
gante Se  contraftée  de  chaque  pièce  , 
efpéce  de  diftribution  qui    exige  pres- 
que autant    d'art  Se   de   goût  que  le 
choix  même  des  pièces  ;  tout  cela  for- 
me aux  ïeux  d'un  connoiifeur  délicat 
Se  févère  un    fpe&acle    ravifïant.    Ces 
précieux  Cabinets   font   compofés  ,  Se 
doivent  l'être ,  de  tous  les  genres  de  la 
Peinture.   Quoique  l'abondance  de  ce- 
lui de  l'Hiftoire  en  dût  faire  le  prix, 
Se  le   mérite  capital  3   l'aménité  Se  les 
charmes  d'un  beau  Païfage  -,  la  fuavité, 
k  fraîcheur  3  Se  la  naïveté  des  Pinceaux 
Flamands  3  leur  magie  dans  les   effets 
d'une    lumière  violente   ou   réfléchie  -, 
fcéclat  Se  la   ibuplefïè  de  leurs  étoffes 

parfaitement 


fur  U  Peinture.  $ï 

parfaitement  imitées  \  le  choix  des  la- 
vantes portions  dans  leurs  chevaux  8c 
de  leurs  plus  belles  formes ,  tant  d'a- 
gréables parties  doivent  leur  faire  par- 
donner la  baflèfïè  de  leurs  fujets  la  plu- 
part groiliers ,  ignobles ,  fans  penfées , 
Se  fans  intérêt.  Enfin  jufques  aux  Pein- 
tres excellera  dJanimaux  >  de  fruits ,  8c 
de  rieurs,  qui  efl:  le  genre  le  plus  mé- 
diocre ,  tous  doivent  entrer  dans  la 
ftrudhire  de  ces  petits  Palais  enchantés , 
û  chers  aujourd'hui  aux  beaux  Arts 
dont  ils  font  Pazile ,  8c  en  même  tems 
l'admiration  des  Etrangers  8c  les  déli- 
ces des  connoifïèurs  qui  habitent  cette 
Capitale. 

Il  y  auroit  encore  un  moïen  bien 
fupérieur  à  celui  dont  je  viens  de  par- 
ler, qui  garantirent  nôtre  Ecole  dJun 
penchant  prochain  à  fa  ruine ,  8c  qui 
feroit  digne  de  la  grandeur  8c  de  la 

D 


31  Reflexions 

magnificence  de  nôtre  Roi  5  le  fouve- 
rain  d'une  Nation  dont  le  génie  eft  fi 
heureux  pour  les  beaux  Arts  ,  moïen 
dont  l'exécution  illuftreroit  à  jamais 
ceux  à  qui  Sa  Majefté  fait  l'honneur  de 
confier  la  potection  qu'il  leur  accorde, 
Se  le  foin  de  leur  avancement.  Ce 
fêroit  de  faire  conftruire  une  vafte  Galle- 
rie  ou  plufieurs  contiguës ,  bien  éclai- 
rées y  dans  le  fuperbe  Château  du  Lou- 
vre ,  ce  Palais  inhabité  ,  quoique  fi 
digne  de  l'habitation  de  nos  Monar- 
ques 3  qui  fait  encore  l'admiration  des 
Etrangers ,  &  en  même  tems  leur  éton- 
nement  en  le  voïant  abandonné  ,  ôc  fbn 
mépris  porté  au  point  d'y  lairtèr  élever 
aujourd'hui  dans  le  milieu  de  fa  cour,où 
devroit  être  placée  une  Fontaine  ifblée 
en  Baflinj  fLm  pour  l'utilité  publique 
que  pour  la  décoration  qui  en  réfulte- 
loit  y  Se  qui  permettroit  à  ceux  qui  en- 


fur  U  Peinture.  33 

tuent  par  une  porte  de  voir  celle  qui 
lui  eft  oppofée  en  fimmétrie  pour  en 
fortir  :  de  voir ,  dis  -  je ,  au  milieu  de 
cette  cour  un  bâtiment  pour  un  parti- 
culier à  plufieurs  étages  ,  &  en  pierres  de 
taille,  pour  durer  très- long -tems  dç 
mieux  ôter  à  la  Nation  la  vue  de  lJin- 
térieur  de  ce  Palais ,  après  l'avoir  déjà 
privée  de  celle  de  l'extérieur  par  lJaf- 
femblage  indécent  d'Ecuries ,  de  Re- 
mifès  ,  d'Echopes  ,  de  Boutiques  qui 
afïîégent  de  deshonorent  ce  fuperbe 
Edifice  de  tous  les  côtés,  tant  de  ce- 
lui des  P.  P.  de  l'Oratoire ,  que  de  la 
Place  du  vieux  Louvre  ,  &  de  la  fu- 
perbe  Façade  qui  regarde  St.  Germain 
PAuxerrois.  Cette  infulte  qui  vient  d'être 
faite  tout  récemment  à  ce  Palais ,  Se 
qui  n'eft  pas  encore  achevée,  afflige 
de  nouveau  les  bons  citoïens  ,  péné- 
trés de  voir  la  maifon  de  leur  Roi  defc 

D  ij 


34  R/flexïons 

honorée  à  fes  propres  frais  3  par  ceux 
mêmes  dont  le  devoir  de  leurs  Char- 
ges quoique  fubalternes  ,  feroit  d'em- 
ploïer  tout  leur  crédit  pour  arrêter  des 
abus  aufïi  hardis  qui  nous  rendent  l'ob- 
jet  des  plaifanteries  de  l'Etranger  Se  du 
Voïageur  exadts  à  marquer  dans  leurs 
Relations  que  la  Capitale  du  plus  beau 
Roïaume  eft  la  feule  dans  l'Europe  où 
le  Palais  du  Souverain  foit  imparfait, 
Se  abandonné  jufques  à  être  découvert  > 
Se  par -là  expofé  à  une  ruine  totale* 
Cependant  le  Public  efpére  beaucoup 
du  zèle  Se  de  l'attention  de  Mon  fleur 
de  Tournehem ,  aujourd'hui  Directeur 
Général  des  Bâtimens  de  Sa  Majefté  s 
Se  qu'il  emploira  toute  fon  autorité 
pour  relever  l'honneur  Se  rétablir  la 
décence  de  celui  qui  eft  fans  contredit 
le  premier  des  Bâtimens  roïaux ,  Se  qui 
par -là  exige  fes    premiers  foins.    Les 


fur  la  Peinture.  35 

tems  n'étant  point  aflèz  heureux  pour 
penfer  à  une  entreprife  auiïi  confidéra- 
ble  que  celle  de  fon  achèvement  (quoi- 
que il  y  eût  cent  moïens  pour  le  faire 
finir ,  fans  qu'il  en  coûtât  quoi  que  ce 
foit  à  Sa  Majefté  )  Ce  feroit  une  très- 
petite  dépenfe  de  le  mettre  en  atten- 
dant à  lJabri  des  dépérifïèmens  que  la 
pluïe  y  caufe  journellement  3  Se  de  com- 
mencer par  en  faire  couvrir  feulement 
la  plus  belle  &  la  plus  précieufe  par- 
tie ,  celle  qui  regarde  St.  Germain. 
Cette  attention  importante  jointe  à  celle 
d'arrêter  toutes  les  indécences  cho- 
quantes qui  l'environnent  ^  Se  d'empê- 
cher l'élévation  des  grands  Se  petits 
Bâtimens  fur  tout  dans  l'intérieur ,  qui 
avilifïènt  un  Palais  ref  pectable  à  toute  la 
Nation.  Ces  attentions  de  la  part  de 
Monfieur  de  Tournehem  11  dignes  de  la 
place  honorable  que  le  Roi  lui  a  con> 

D  iij 


3  6  Réflexions 

fiée,  lui  feront  un  nom  éternel  &  lui 
apureront  Pefrime,  la  reconnoiflànce ,  &. 
les  cœurs  de  tous  les  honnêtes  gens. 

Le  moïen  que  je  propofe  pour  l'avan- 
tage  le  plus  prompt  >  8t  en  même  tem& 
le  plus  efficace  pour  un  rétabliflèment 
durable  de  la  Peinture,  ce  feroit  donc 
de  choifir  dans  ce  Palais  ou  quelqu'au- 
tre  part  aux  environs  3  un  lieu  propre 
pour  placer  à  demeure  les  innombrables 
chefs-d'œuvre  des  plus  grands  Maîtres 
de  l'Europe ,  &  d'un  prix  infini ,  qui 
compofent  le  Cabinet  des  Tableaux  de 
Sa  Majefté  ,  entaMes  aujourd'hui,  Se 
enfevelis  dans  de  petites  pièces  mal  éclai- 
rées Se  cachées  dans  la  ville  de  Ver- 
failles  y  Inconnus  >  ou  indifférera  à  la 
curiofité  des  Etrangers  par  l'impofli- 
bilité  de  les  voir  (*).  Une  autre  raifon 

(  *  )  Ceft  ainfî  qu'exiftoit  anciennement  la 
précieufe  &  immenfe  Bibliothèque  du  Roi  , 
jeuë  YWienne   dans  de  petites  pièces  ,   avao* 


fur  ta  Peinture.  $j 

prenante  pour  leur  donner  un  loge- 
ment convenable  5  8c  qui  mérite  une 
attention  bien  férieufe  ,  c'eft  celle  d'un 
dépérifïèment  prochain  8c  inévitable  par 
le  défaut  d'air  8c  d'expofition.  Quel 
feroit  aujourd'hui  le  fort  des  Tableaux 
admirables  du  Palais  roïal  y  s'ils  eufïènt 
été  entafTés  pendant  vingt  ans  dans  l'obf. 
curité  ,  8c  dans  l'impofïîbilité  d'être  vîn- 
tes Ôc  entretenus  par  le  défaut  d'eipace^ 
tels  que  le  font  depuis  plus  long-tems 
ceux  du  Roi  ?  Mais  le  Prince  Régent 
qui  en  avok  fait  le  magnifique  alïèm- 
blage  avec  des  foins  incroïables  8c  trans- 
porter des  Païs  très -éloignés  avec  les 
précautions  que  méritoient  l'excellence 
de  leur  choix ,  8c  leur  grand  prix  >  n'a- 
voit   garde  d'enfouir  ce  thréfor    &  le 

que  Monfîeur  TAbbé  Eignon  ,  dont  le  nom 
fera  éternellement  cher  à;  la  Nation  &  célèbre 
parmi  les  Savans ,  eût  fait  contraire  le  fuperbe 
Bâtiment  où  elk  cft  logée  au jowà'liui  ruëRfc» 
ehe-Iieu. 


3  8  Referions 

laiflèr    dans    la    poufïière.     Ce    grand 
Prince  dont  le  génie  embrafïoit  tout, 
né  avec  l'amour  des   beaux  Arts,   de 
très-convaincu  que  leur  perfection  dans 
un  Etat  avec  celle  des  Lettres,  eft  la 
preuve  la  plus  fenfible  de  fa  grandeur 
&  de  fa  fupériorité ,  leur  accordoit  les 
plus  doux  de  fes  loifirs  ;  mais  il  faifoit 
fes  plus  chères  délices  de  la  Peinture , 
celui  de  tous  le  plus  enchanteur.  Il  en 
avoit  étudié  de  bonne  heure  toutes  les 
beautés  ,  &  s'étoit  fait  révéler  fes  mif- 
tères  les  plus  fecrets  par  un  Peintre  ha- 
(*)  M.  bile;  (*)  ces  mêmes  mains  qui  avoiem 
cueillis  tant  de  lauriers ,  ne  dédaignè- 
rent  pas  de  manier  les  Pinceaux  &  les 
craïons ,  afin  de  faifîr  toute  la  finefTe 
du   plus  noble   des  amufemens.  Ceft 
uniquement    à    l'étendue    de    (es   lu- 
mières ,    &    à    la    fupériorité  de   fon 
goût  que  la  France  eft  redevable  des 


fur  U  Peinture,  $$ 

chefs- d'œuvres  auxquels  il  a  donné  un 
azile  fî  honorable  dans  fbn  Palais  ,  Se  qui 
lui  a  fait  une  réputation  égale  à  celle 
des  Cabinets  les  plus  renommés  de 
l'Europe.  Ce  fut  pour  les  éclairer  par 
les  jours  les  plus  favorables  >  qu'il  fît 
ajouter  à  fes  appartenons -ce  magnifi- 
que Sallon  où  la  lumière  eft  prife  d'en 
haut  par  des  vitraux  de  grandes  glaces* 
Si  François  I.  s'eft  immortalife  pour 
avoir  appelle  chez  lui  les  beaux  Arts* 
&  principalement  la  Peinture,  la  Na- 
tion aura  l'éternelle  obligation  à  Phi- 
lippe de  France  d'avoir  raiïèmblé  Se 
logé  fuperbement  dans  fa  Capitale  le 
plus  grand  nombre  des  merveilles  en 
cet  Art  vifitées  par  tous  les  curieux  de 
l'Europe  ,  ôc  honorées  des  plus  grands 
éloges  dans  les  païs  étrangers.  Quelle 
Ecole  pour  la  Peinture  que  ces  riches 
cabinets  ouverts  à  tout  le  monde  avec 


40  Réflexions 

une  facilité  digne  de  la  grandeur  du 
Prince,  où  l'on  s'inftruit  de  toutes  les 
manières  ,  &  de  tous  les  âges  de  la 
Peinture  !  Si  les  Tableaux  de  Sa  Ma- 
jefté  furpafTent  ceux-ci  en  nombre  de 
en  valeur ,  comme  on  le  dit  fans  pou- 
voir l'alTûrer ,  n'y  aïant  jamais  eu  de 
Catalogue  public  ,  quelle  perte  pour  les 
talens  de  nôtre  Nation  que  leur  empri- 
fonnement  i  avec  quelle  farisfa&ion  les 
curieux  &  les  étrangers  les  verroient  en 
liberté  ,  expofés  dans  une  habitation 
convenable  à  âts  ouvrages  dont  la  plus 
grande  partie  eft  fans  prix  !  Telle  feroit 
la  Gallerie  roïale  que  l'on  vient  de 
propofer ,  bâtie  exprès  dans  le  Louvre  , 
où  toutes  ces  richeilès  immenfes  &  igno- 
rées feraient  rangées  dans  un  bel  ordre , 
&c  entretenues  dans  le  meilleur  état  par 
les  foins  d'un  Artifte  intelligent  ,  ôc 
chargé  de  veiller  avec  attention  à  leur 


fur  la  Peinture.  4* 

parfaite  confervation.  Par  -  là  3  ils  fe- 
roient  préfervés  de  tomber  dans  la 
honteufe  deftrudHon  de  ceux  du  Palais 
du  Luxembourg ,  le  triomphe  de  la  Pein- 
ture ,  &  dont  la  poiïèfïion  nous  eft  en- 
viée par  tous  les  Etrangers  qui  donne- 
raient des  fommes  immenfes  pour  avoir 
chez  eux  ces  ouvrages  divins  &  qui  font 
le  plus  d'honneur  au  Pinceau  de  Hm- 
mortel  Rubens.  Ils  font  cependant  du 
côté  de  la  Cour  dans  cette  Gallerie  fi 
eftimable  prefque  détruits  par  la  négli- 
gence criminelle  des  Concierges  qui 
ouvrent  tous  les  volets  Se  les  vitraux  des 
croifées  dans  les  jours  les  plus  brûlans , 
&  laiflènt  dévorer  à  l'ardeur  du  Soleil 
depuis  le  midi  jufqu'à  ce  quJil  foit  en- 
tièrement couché  y  ces  Tableaux  pré- 
cieux ,  ces  beautés  que  toutes  les  riche£ 
fes  des  Souverains  ne  pourroient  au- 
jourd'hui remplacer.    Ce  fut  à  Anvers 


4i  Réflexions 

que  j'appris  ce  dommage  irréparable , 
Se  qui  continue  ,  par  un  fameux  Cu- 
rieux de  cette  Ville  nommé  Monfieur 
Van-haggen  ,    qui  fut  frapé  de   l'in- 
différence   de   nôtre    Nation   pour  ce 
qu'elle  a  de  plus   rare  Se   d'un  '  plus 
grand  prix  en  ce  genre ,  fans  en  excep- 
ter  aucun   ouvrage   dans  nos  maifons 
roïales.  Il  me  fit  encore  part  de  la  dou- 
leur qu'il  eut  dans  les  jardins  de  Ver- 
failles  ,  lorfqu'ii  y  vit  nos   plus   belles 
Statues ,  Se  fur  tout  les  deux  incom- 
parables du  célèbre  Puget ,  le  Milon  , 
Se  l'Andromède  égales  aux  plus  parfai- 
tes de  l'Antique  ,  Se  même  fupérieures , 
au  jugement  de  plufieurs  habiles  Sculp- 
teurs Italiens  ,  Se  qui  mériteroient  bien 
mieux  l'honneur  d'être  dans  les  appar- 
temens  à  l'abri  de  la  gelée  Se  des  outra- 
ges de  l'air ,   que  celles  qu'on  y  con- 
ferve  fi  précieufement,  qui  n'ont  d'autre 

titre 


fur  U  Teinture.  4$ 

titre  de  vénération  que  leur  extrême 
vieillefïè  ôc  d'être  venues  d'un  païs 
très-éloigné.  Lorfqu'il  les  vit,  dis -je, 
écurer  comme  un  chaudron  avec  le  plus 
gros  fable ,  &  en  enlever  non  -  feule- 
ment le  poli  ,  mais  encore  (  ce  qui  en: 
irréparable  )  cette  peau ,  ce  précieux 
épiderme ,  où  les  Tameaux  des  veines , 

f  itnihahiPtt 

&c  toute  la  finefïè  de  ce-  favaiafacifcrru  fe 
faifoient  admirer.  Il  fe  rappella  les  tems 
malheureux  où  les  Barbares  vinrent 
fondre  dans  les  gaules  ,  &  détruire  nos 
temples  ,  nos  édifices ,  nos  ftatuës ,  en 
voïant  nos  mains,  nos  propres  mains 
diffamer  les  traces  du  favant  cifeau  du 
Puget  qui  donnoit  le  mouvement  Se  la 
respiration  à  la  matière ,  &  favoit  la 
faire  fourfrir  de  fe  plaindre.  Le  Sieur 
le  Moine  le  Fils  excellent  Sculpteur, 
lorfqu'il  travailloit  à  Verfailles,  mJa 
parlé  plus  d'une  Fois  avec  douleur,  d$ 

E 


44  Réflexions 

celle  que  lui  caufoit  ce  barbare  fpec- 

tacle. 

L'intérêt  pour  la  gloire  de  nôtre 
JSÏation  par  la  confervation  des  beau- 
tés rares  qu'elle  poiïède,  m'a  un  peu 
écarté  de  mon  fujet.  Je  reviens  donc 
aux  avantages  de  ce  dernier  moïen  que 
j'ai  propofé  en  faveur  de  la  Peinture. 

Quel  motif .  d'émulation  feroit  plus 
piquant  pour  nos  Peintres  dJà  prélent  > 
que  l'honneur  d'obtenir  des  places  dans 
cette  Gallerie  roïale  à  coté  de  tant 
d'hommes  illuftres  de  tous  les  païs  6c 
fur  tout  de  l'Italie  ,  qui  compofent 
l'immenfe  «Se  lavante  colle&ion  des  Ta- 
bleaux des  Cabinets  du  Roi  ?  Honneur 
d'autant  plus  flateur  ,  qu'il  ne  feroit 
accordé  ni  à  la  brigue ,  ni  à  la  protec- 
tion des  Grands ,  ni  aux  caprices  des 
Directeurs  fu.balternes  >  ni  à  l'éclat  pafïà- 
ger  des  frivoles  beautés  de  la  mode  qui 


fur  U  Peinture.  4j 

excitent  tous  les  jours  les  cris  d'admi- 
ration des  Petits  -  maîtres  des  deux 
fexes  3  6c  fur  tout  du  plus  aimable  dont 
l'empire  s'étend  aujourd'hui  iur  tous 
les  ouvrages.  Ces  petits  juges  fubal- 
ternes,  ces  prodigues  diilributeurs  d'une 
immortalité  hebdomadaire  à  nos  enlu- 
mineurs d'Eitampes  ,  n'auroient  point 
de  voix  pour  leur  ouvrir  l'entrée  de  ce 
Sanctuaire.  Ce  feroit  au  titre  feul  d'une 
réputation  décidée  3  Se  appuïée  fur  pla- 
ceurs excellens  ouvrages  marqués  au 
fceau  d'un  furrrage  général  8c  de  l'ad- 
miration publique  que  cette  précieufe 
diitin&ion  feroit  accordée. 

Mais  il  eft  tems  de  finir  des  réfle- 
xions peut-être  trop  étendues ,  ôc  de 
parler  à  l'examen  qu'on  s'eit.  propofé. 

Pour  le  faire  avec  quelque  ordre , 
il  faut  commencer  par  les  premiers  ou- 
vrages en  ce  genre,  les  Hiftoriens  facrés, 

Eij 


4^  Reflexions 

&  ceux  que  l'on  appelle  Tableaux  cta 

dévotion. 

Celui  qui  a  la  place  du  Sallon  la  plus 
avantageufe  >  &  qui  fe  préfente  le  pre- 
mier, eft  du  iieur  Carie  Vanlo  fait 
pour  l'Eglife  des  petits  Pères  de  la 
Place  des  Victoires  où  il  a  déjà  été 
pendant  plufieurs    mois   au    fond   de 

ïj.  p.  leur  chœur.     Ce    Tableau    repréfente 
«le  haut 

furj.de  Louis   XIII.  fanant  hommage  a  la 
large. 

Vierge  de  la  Victoire  qu'il  a  remporté 

fur   les  Hérétiques   par  la  prife  de  la 

Rochelle.   L'ordonnance  en  eft  belle  de 

judicieufe.    La  compofîtion   iimple  & 

point  chargée  d'épifodes  fuperflus.    On 

defireroit   feulement  dans   le  caractère 

de  la  Vierge  plus  de  nobleflè  3  &:  un 

choix  plus  heureux.  L'enfant  Jefus  eft 

d'un  goût  de   defïèin  Se  d'un  pinceau 

[ec  de  négligé ,  de  ne  répond  point  aux 

autres  beautés ,   non  plus  que  l'air  de 


fur  U  Teinture  47 

tête  3  8c  la  figure  de  lJAnge  vis-à-vis 
dont  l'attitude  eft  froide  8c  l'idée  très- 
médiocre.  Mais  les  principales  figures 
ont  de  rares  beautés.  Celle  de  Louis 
XIII.  eft  d'un  grand  caractère ,  beau- 
coup de  bienféance  8c  de  dignité  dans 
ibn  action  qui  rend  parfaitement  le 
fujet.  Il  y  a  une  vérité  admirable  dans 
la  tête  8c  toute  la  figure  de  celui  qui 
préfente  les  clefs  de  la  ville.  Celle 
du  Religieux  qui  eft  derrière  eft 
éclairée  par  de  favans  reflets.  Les  Dra- 
peries ,  8c  tous  les  détails  des  figures 
de  ce  beau  groupe ,  font  faites  d'une 
grande  manière  qui  eft  propre  à  l'Au- 
teur ,  8c  que  l'on  peut  appeller  lumi- 
neufe.  Il  pourroit  cependant  y  avoir  un 
peu  plus  d'harmonie  dans  l'enfemble, 
8c  plus  d'accord  dans  fes  dirTérens  tons 
qui  papillotent  un  peu  à  la  vue*  8c 
l'œil  y   deiîrerok   plus  de    repos    $c 

2  ■£  Hi 


4-3  Ref exions 

d'union»  Ce  défaut  eft  fouvent  celui 
des  grands  Tableaux  dont  la  vafte  mé- 
canique demande  une  intelligence  d'ha- 
bitude afTez  grande  pour  en  embraflèr 
toutes  les  parties >  &  y  mettre  cet  uniflbn 
qui  fait  le  charme  de  l'œil  connoiflèur 
êc  le  principal  mérite  de  l'ouvrage, 
Combien  de  Peintres  d'une  grande 
réputation  dans  les  Tableaux  moïens  > 
ont  échoués  dans  ceux  d'une  certaine 
étendue  ?  Le  grand  Tableau  demande 
une  étude  particulière  &  la  iience  en 
en  eft  longue  à  acquérir.  Toutes  les 
fautes  ,  &  fur  tout  celles  dans  la  partie 
du  deflèm  étant  beaucoup  plus  fen/i<- 
blés.  Au  refte  ,  la  correction  dans  celle- 
ci  eft  parfaite ,  &  dans  un  grand  goût , 
&  toute  l'exécution  dans  une  manière 
grande  Se  élevée. 

La  forme  étroite  &  irrégulière  des 
jrois  autres  Tableaux  du  même  Auteur 


fur  U  Peinture.  49 

l'a  beaucoup  gêné  ,  &c  demande  de 
l'indulgence  pour  fa  compofîtion.  Rieiï 
ne  l'obligeoit  cependant  dans  celui  de 
la  Vifitation  de  la  Vierge ,  de  déploïer  iz.pi 
le  battant  énorme  d'une  porte  grofïîère 
à  côté  de  fes  deux  principales  figures. 
L'idée  n'en  eft  pas  noble  ,  ni  l'effet 
heureux ,  puifqu'il  appauvrit  fa  compo- 
fîtion. Quelques  perfonnes  n'ont  pas 
trouvée  fainte  Elizabeth  afïèz  âgée  eu 
égard  à  la  Vierge.  L'Ecriture  dit  qu'elle 
étoit  dans  fa  vieillerie.  La  draperie 
bleue  de  la  Vierge  eft  un  peu  pe- 
lante &  n'eft  point  terminée  dans  le 
vrai.  L'on  n'a  pas  été  entièrement  fa* 
tisfait  des  teintes  dans  les  vifages  des 
Vierges  de  ces  trois  Tableaux  ■>  elles  ont 
tant  foit  peu  de  lividité  ,  8c  fur  tout 
celle  de  la  Préfentation  à  laquelle  on  14,  p. 
auroit  demandé  plus  de  noblefïè,  &  fur  6.  de 
d'expreffion  de  piété,  La  tête  du  fainç  *ï&k 


jo  Ref exions 

Vieillard  Simeon  >  Ton  cara&ère  ,  fa 
draperie ,  enfin  toute  fa  figure ,  Se  celle 
de  fon  acolite  ,  font  d'une  force  de 
couleurs ,  Se  d'une  vérité  d'expreffion 
qui  peut  être  comparée  à  ce  qu'il  y  a  de 
plus  parfait. 
h.  p.  Dans  le  Tableau  de  l'Annonciation 
fur  6.  de  du  même  Auteur  ,  l'attitude  de  la 
Vierge  3  le  beau  caractère  de  fa  tête 
plein  de  noblefïè  &  de  dignité  ,  l'ex- 
preffion  que  l'on  y  voit  de  fainteté  Se 
d'une  profonde  humilité ,  ont  fatisfait 
tous  les  connoifïèurs.  Sa  draperie,  quoi- 
que les  plis  en  foient  jettes  dans  le 
grand ,  eft  encore  un  :  peu  pefante  ; 
l'attitude  de  l'Ange  n'a  pas  été  géné- 
ralement approuvée.  Plufieurs  ont  blâ- 
mée fa  pofition  trop  perpendiculaire  ,  Se 
la  figure  point  afïèz  fvelte  Se  aérienne. 
La  gènt  de  la  forme  du  Tableau  pour- 
voit un  peu  exeufer  l'Auteur  fur  le  dé- 


fur  la  Teinture.  ji 

faut  de  fon  attitude.  Pour  celui  de  fa 
pefanteur ,  qui  eft  commun  à  bien  des 
Peintres  dans  la  représentation  de  ces 
fubftances  incorporelles,  ce  qui  l'aug- 
mente dans  celle-ci ,  c'eft  Vegces  de  {a 
draperie  énorme  &  fans  aucun  mouve~ 
ment.  Cependant ,  tout  bien  examiné  * 
ce  tableau  fait  honneur  à  fon  Auteur 
qui  l'a  traité  dans  la  grande  manière 
du  Baroche,  &  du  Lanrranc>  &  tout 
aufïi  bien  colorié. 

Dans  le  milieu  de  la  face  oppoféer 
aux  croifées.»  on  voit  un  autre  grand 
tableau  dont  le  fujet  eft  tiré  des 
actes  des  Apôtres.  Ç'eft  la  punition 
d'Herode  Roi  de  la  Judée,  frappé  de 
Dieu  pour  s'être  attribué  des  honneurs 
divins.  Ce  fujet  eft  d'un  très  -  beau 
choix ,  fufceptible  d'action  Se  d'intérêt. 
La  compoiîtion  en  eft  aflèz  bien  pen- 
fée  ,  6c   il  y  a  beaucoup  de  feu  & 


j  z  Réflexions 

de  génie  dans  l'exécution.  L'attitu- 
de d'Herode,  &  le  renverfement  de 
fès  traits  portent  aux  ïeux  du  fpectateur 
une  image  afïèz  vraïe  d'un  violent  dé- 
fefpoir.  Les  Acteurs  épifodiques  font 
d'un  bon  ton  fans  avoir  un  caractère 
intérefïànt  ni  remarquable.  Ce  tableau 
a  fatisfait  les  ïeux  du  Public ,  8c  des 
connoiilèurs  dont  il  a  reçu  beaucoup 
d'éloges ,  &  il  les  mérite.  Quelques-uns 
y  ont  defiré  plus  d'élévation  dans  le 
ton  de  la  couleur  générale  &  locale  3 
qui  n'eil:  pas  brillant ,  Se  de  plus  gran- 
des malles  de  lumières.  L'Ecole  Fran- 
çoife  a  lieu  d'efperer  de  recouvrer  Ton 
ancienne  vigueur  dans  l'Hiftoire ,  par 
les  talens  du  fieur  Pierre  auteur  de  ce 
tableau  y  &  qui  marche  à  pas  de  géant 
7#  Pi  dans  fa  carrière.  Les  Pèlerins  d'Emmaiis 
far^dc  tableau  en  hauteur  placé  vis-à-vis  le 
gc#     vceu  de  Louis  XIII.  eft  encore  de 


fur  U  Peinture.  53 

lui.  Il  y  a  de  la  couleur  ëc  d'un  afïèz 
bon  ton  :  la  composition  n'a  rien  de 
remarquable  ,  non  plus  que  celle  du 
grand  tableau  placé  à  côté  de  celui 
d'Herode  du  fleur  Jeaurat  qui  repré-  13.  p. 
fente  le  boiteux  à  la  porte  du  Temple  fur  9. 
guéri  par  faint  Pierre.  Chaque  figure 
prife  à  part ,  eft  bien  traitée ,  conve- 
nable au  fujet  3  d'un  bon  caractère  y  ôc 
d'un  defïèin  correct,  fans  que  le  total 
{oit  intérefïant  par  aucune  nouveauté 
qui  le  faflè  afïèz  différer  de  la  façon 
dont  ce  même  fujet  a  été  imaginé  par 
plufieurs  bons  Peintres  dans  des  Eglifes 
de  cette  Ville. 

On  voit  encore  dans  le  rang  d'en 
haut  quelques  Tableaux  de  piété  en 
hauteur  d'une  figure  feule  qui  ont  de  la 
beauté  &c  ont  arrêtés  les  regards  des 
curieux.  Celui  de  St,  Charles  Borromée  8.  p. 
d\x  fieur  Reftout  a  été  extrêmement  f«r  5. 


/4  Réflexions 

goûté.  L'attitude  de  la  figure  a  de 
l'a&ion ,  ôc  l'air  de  tête  un  caractère 
de  piété  intéreflânte  :  la  draperie  vraie 
&  favante. 

Celui  de  faint  Pierre  Ton  pendant 
du  même  Auteur ,  quoique  dans  une 
arTez  grande  manière ,  n'a  pas  eu  tant 
de  partifans  par  le  défaut  de  la  pofi- 
tion  de  la  figure  qui  eft  dans  le  goût 
d'un  Héros  de  Théâtre  campé  d'un  air 
cavalier  fur  la  fcêne  ,  plutôt  que  d'un 
Apôtre  pénitent ,  humilié  ,  Ôc  près  de 
fournir  le  martîre  dont  il  tient  l'inftru- 
ment.  L'idée  de  celui  de  faint  Benoîc 
par  le  même  ,  le  premier  de  ce  rang 
au  defîiis  de  Pefcalier ,  eft  aflez  médio- 
cre auili-bien  que  l'exécution.  On  a 
trouvé  les  teintes  des  nuages  de  la  gloire 
d'un  ton  rougeâtre  violent ,  ôc  faifanç 

de  haut  diflonnance  avec  celles  du  Tableau. 

large.         Le  Baptême  de  St.  Jean  de  même 

grandeut 


fur  la  Peinture.  5/ 

grandeur  du  fleur  Halle ,  quoique  d'un 
defïèin  très -correct,  &  même  un  peu 
trop  prononcé ,  d'un  afïèz  bon  ton  de 
couleur ,  n'a  rien  de  neuf  dans  fa  com- 
pofîtion  qui  eft  bonne ,  mais  triviale. 

On  voit  aux  -côtés  du  vœu  de  Louis     9.  p. 

de  haut 
XIII.   deux  grands  Tableaux    ovales  fur  7. 

du  Sieur  Coypel.  L'un  eft  une  Annon- 
ciation dont  la  composition  eft  Singu- 
lière :  l'autre  repréfènte  les  Pèlerins 
d'Emmaiis  qui  a  des  beautés  remar- 
quables. Il  y  a  encore  dans  le  rang  au 
-deflbus  deux  Tableaux  de  piété  du  mê- 
me Auteur.  L'un  en  Paftel ,  &  c'eft  la 
Samaritaine  avec  Jefus-Chrift ,  &  l'au- 
tre à  l'huile  le  facrifice  d'Abraham.  Je 
n'entrerai  dans  aucun  détail  fur  les 
beautés  des  ouvrages  de  ce  Peintre.  La 
grande  réputation  que  lui  ont  fait  de- 
puis fi  long-tems  fes  productions  plei- 
nes d'efprit  en, toute  forte  de  genres, 

F 


<$&  Repxîom 

Se  fur  tout  dans  celui  de  piété  ,  me 
difpenfe  d'un  examen  particulier  qui 
auroit  trop  d'étendue.  On  trouve  tou- 
jours dans  Tes  tableaux  des  moeurs  & 
de  la  décence  >  avec  des  réflexions 
pleines  d'efprit.  Ce  dernier  talent  fi 
intéreflànt  pour  le  fpe&atc.ur  délicat^ 
brille  avec  fîneue  dans  -un  petit  Ta- 
bleau de  lui  placé  dans  le  rang  d'en 
bas ,  même  côté  des  ovales.  C'eft  le 
Dieu  de  l'Amour ,  figure  feule  de  la 
hauteur  de  trois  pieds  en  face  du  fpec- 
tateur  qu'il  menace  de  la  main.  L'Au- 
teur a  fu  faire  un  mélange  adroit  dans 
fa  phifionomie  des  deux  caractères  qui 
lui  font  propres ,  la  naïveté  &  la  dou- 
ceur apparente  3  avec  la  malignité  ôc 
la  perfidie.  Idée  auili  difficile  dans 
l'exécution ,  qu'elle  eft  vraïe  &  ingé- 
nieufè.  Quoique  l'on  n'y  puiflè  rien 
r£mhaiter  du  côté  de  l'eiprit  ^  on  ya 


fur  ta  Teinture,  $*$ 

defîré  un  plus  beau  choix  dans  î'air  de 
tête  qui  efl:  un  peu  ignoble ,  fans  ex- 
prefïîon  de  Divinité,  de  Fans  beauté 
pour  repréfenter  le  plus  beau  de  tous 
îes  Dieux.  Ses  chairs  ne  font  point  d'uiï 
beau  ton  de  couleur  °y  on  n'y  voit  point 
œ  fang >  cette  vie  que  l'on  admiré  dan& 
fês  beaux  Paflrels  qui  font  l'ornemenc 
des  Cabinets  3  &  fur  tout  de  celui  d'un 
de  nos  plus  favans  connoifîèurs  Mon- 
teur Mariette.  La  draperie  de  ce  Dieu 
qui  devroit  être  extrêmement  vague  y 
légère ,  &  badine ,  eft  ici  nouée  pe«*- 
fâmment  en  forme  de  ceinture ,  ôc  ne 
Êiit  ni  légèreté  ni  agrément  à  la  fi- 
gure. 

On  voit  à  peu  de  diftance  de  ce 
dernier  Tableau  deux  autres  du  même 
Auteur.  Ce  font  les  deux  buftes  des 
Philofophes  Heraclite  &  Démocrite,  On 
a  trouvé  du  vrai  dans  Texprefïîon  de 

Fi] 


j$  Réflexions 

ces  caractères  fi  oppofés  ;  mais  un  vra± 
un  peu  forcé ,  recherché ,  &  qui  fenc 
le  travail.  Leur  extrême  décrépitude 
fans  néceflîté ,  fait  un  peu  de  tort  à  l'a-- 
grément  de  la  vérité  dans  l'exprefïîon. 

Je  pafïè  aux  grands  fujets  de  l'Hit 
toire  profane  &  de  la  Fable ,  &  je 
commence  dans  le  rang  d'en  haut  du 
côté  de  l'efcalier  ,  par  les  deux  Ta- 
bleaux du  fieur  Parrocel  dont  la  gran- 
deur immenfè  de  dix-fept  pieds  fur 
onze  ,  n'a  point  encore  de  proportion 
avec  celle  de  fon  génie.  L'un  repré- 
fente  l'entrée  de  l'Ambafïàdeur  Turc  par 
le  pont  des  Tuilleries  >  &  l'autre  de  mê- 
me grandeur  ,  fa  fortie  par  le  même 
lieu.  Quelle  foule  de  beautés  dans  cette 
vafte  compofition  !  Quelle  fuperbe  or- 
donnance !  Quelle  fience  dans  les  dé- 
tails prodigieux  d'un  tel  fujet!  Diftri- 
bution  admirable  des  Groupes  5  fécondi* 


fur  U  Peinture.  s  9 

ré  furprenante  dans  l'art  de  les  varier  , 
êc  de  leurs  contraires  :  vérité  &  fierté 
dans  les  caractères  oppofés  des  Na- 
tions ,  Turcs  i  Suifïès  ,  François.  Re- 
cherche exaéfce  ôc  fcrupuleufe  dans  leurs 
habillemens.  Etude  laborieufe  &  fa- 
vante  des  plus  belles  polîtions  des  che- 
vaux^ de  leur  action  ,  avec  une  imi- 
ration  parfaite  de  la  richerTe ,  6c  du 
travail  de  leurs  couvertures  en  or ,  en 
perles  y  &  en  pierres  précieufes.  La 
plus  haute  intelligence  de  la  perfpec- 
tive  pour  la  poiition  de  cette  multi- 
tude innombrable,  tant  fur  les  plans 
avancés  ,  que  fur  ceux  de  derrière  >  & 
les  plus  éloignés.  Enfin  une  harmonie 
enchanterefTè  qui  réfulte  de  la  variété 
des  tons  &  de  leur  accord  :  harmonie 
qui  lie  ce  grand  tout,  ce  vaite  enfem- 
ble,  &  qui  met  l'œil  dans  un  plein 
repos ,  où  il  ne  defire  rien  ,  où  il  jouît 

F  iij 


60  Réflexions 

de  tout  >  où  il  admire  tout.  Quelle 
gloire  pour  l'Ecole  Françoife  de  poflè- 
der  encore  un  homme  11  excellent  en 
ce  genre  qui  embraflè  prefque  tous  les 
genres  ! 

Parmi  les  grands  Tableaux  du  rang 
le  plus  fupérieur ,  il  y  en  a  encore  un 
du  fleur  Pierre  qui  n'a  pas  attiré  une 
médiocre  attention  par  le  terrible  du 
Sujet  fufceptible  de  force  &  d'une  vio- 
lente expreiTion.  Il  eft  pris  dans  la  Fa- 
ble ,  &  repréfente  Medée  qui  poignar- 
de un  de  fes  enfans.  L'horreur  de  ce 
parricide  eft  très -bien  rendu  par  te 
caractère  d'atrocité  peint  fur  les  traits 
de  cettte  barbare  Grecque ,  &  par  l'ac- 
tion de  fbn  bras  armé  d'un  poignard 
dégoûtant  du  fang  de  fon  fils  qu'elle 
tient ,  de  qu'elle  a  déjà  frapé.  Mais  on- 
a  fouhaité  dans  ce  tableau  une  compo- 
sition  plus  heureufè.    La  portion   da 


fur  ta  Peinture,  &« 

Perrfant ,  non  plus  que  celle  du  char  r 
n'eft  ni  vrai-femblable ,  ni  avantageufè; 
Les  Dragons  qui  doivent  le  tirer  pen- 
dant cette  action,  &  dont  on  ne  vois 
que  les  têtes ,  font  d'un  goût  afïèz  mé- 
diocre. L'embrafement  du  Palais  de 
Jafon  dont  il  ne  paroît  qu'une  partie 
hors  de  toute  perfpective ,  eft  dans  un 
ton  équivoque  &  difïbnant.  Le  Public 
n'a  pu  comparer  cet  ouvrage  avec  ce» 
lui  du  tableau  d'Hérode  pour  qui  il.  a 
été  aufïi  prodigue  d'admiration  &  d'é- 
loges j>  qu'il  en  a  été-  avare  pour  Medée, 
C'eft  une  leçon  importante  aux  jeunes 
Peintres  qui  ont  avec  de  grands  talens 
une  réputation  commencée,  &c  qui  at 
pirent  à  celle  du  premier  ordre  T  de  ne 
point  hazarder  en  public  d'ouvrages 
négligée,  foit  dans  le  plan,  foit  dan3 
l'exécution.  Rien  n'eft  plus  capable  de 
les  arrêter  dans  la  route  de  la  gloire  > 


&z  Ref exions 

que  ces  reproches  d'inégalité ,  de  négli» 

gence,  ou  de  précipitation. 

On  voit  encore  du  même  Auteur 
dans  le  rang  d'en  haut,  le  dernier  de 
4-  p.  la  face  qui  regarde  l'entrée  ,  un  portrait 
de  profil  &  en  tableau  d'une  aflèz  jolie 
perfonne  déguifée  fous  les  habits  dé- 
goûtans  de  ces  falopes  qui  montrent 
dans  Paris  la  Lanterne  magique  ou  des 
marmotes.  J'ai  été  charmé  de  voir  là 
plus  noble  partie  du  Public  &  la  plus 
fenfée  rejetter  l'emblème  en  admirant 
l'ouvrage  qui  a  de  vraies  beautés  ,  & 
d'un  naïf  original  &  féduifant.  Ce  goût 
bas  &  dépravé  de  fe  faire  peindre  en 
Moine ,  en  Sœur  grife  ,  en  Quinze- 
vingt  ,  en  Ramoneur  .>  a  commencé 
chez  quelques  perfonnes  du  premier 
ordre  ,  que  cette  plaifanterie  avoir 
amufé  un  moment.  La  Bourgeoife  de 
Paris  fuxgr -éternel  de  la  Cour  fans  pou- 


fur  U  Teinture.  6$ 

voir  îui  reflèmbler  qu'en  ridicule  ,  a? 
fàiiî  avec  avidité  cette  mode,  comme 
toutes  celles  qu'elle  imagine  fotement 
lui  pouvoir  donner  quelque  air  de  con- 
dition. 

Le  Public,  à  qui  les  tableaux  du 
Sieur  Pierre  plaifent  extrêmement ,  lui: 
confeille  fort  d'abandonner  fbn  talent 
affèz  médiocre  pour  les  Bambochades  x 
ouvrages  indignes  d'un  homme  dont 
le  Génie  eft  afïèr  élevé  pour  concevoir 
&  exécuter  le  tableau  d'Hérode  ;  c'eft 
le  facdeScapin  vis-à-vis  le  Mi(ànthropey 
c'eft  l'Auteur  du  Cid  &  de  Rodogune 
qui  donnerait  des  Parades  à  la  Foires- 
Ces  fortes  de  goûts  fubalternes ,  des- 
honorent fouvent  les  bons  génies  par 
les  molles  complaifances  qu'ils  ont  pour- 
des  amis  d'un  certain  genre  adorateurs 
de  ces  efpèces  de  productions ,  &  qui 
penfent  comme  le  peuple  uniquement 


#4  Réflexions 

fenfible  aux  repréfentations  des  Sujets 
qui  lui  font  familiers.  Il  eft  important 
à  un  Peintre  ,  qui  afpire  par  le  talent; 
de  l'Hiftoire  aux  rangs  les  plus  élevés, 
de  rechercher  les  gens  d'efprit,  ôc  les- 
amateurs  de  la  bonne  compagnie.  Le 
caractère  de  bienféance  &  de  nobleflè 
qui  s'en  répandra  fur  tous  Tes  ouvra- 
ges ,  ajoutera  beaucoup  à  leur  prix ,  ÔC 
contribuera  le  plus  à  les  rendre  les  dé- 
lices des  honnêtes  gens.  Leurs  auteurs ; 
me  répondront  qu'ils  ne  regardent  ces 
fortes  de  peintures  que  comme  les  dé- 
laflèmens  de  leurs  grands  ouvrages ,  &. 
un  amufement  qui  ne  leur  coûte  aucune* 
peine  d'efprit  >  ôc  moi ,  je  leur  déclare 
qu'ils  remperont  toujours  dans  la  mé- 
diocrité s'ils  n'en  ufent  à  l'égard  de  ces 
productions  comme  un  galant  homme 
qui  fait  de  mauvais  vers  pour  s'amu>- 
£er>  Se  qui  fè  garde  bien  de  les  pu* 


fur  ta  Peinture.  &£ 

t>lier.  Ils  ne  me  perfuaderont  point  que 
l'on  puifïè  atteindre  à  une  manière  ori- 
ginale de  à  un  ftile  neuf  en  ce  genre, 
m  dans  aucun  autre  en  fe  jouant  ,  & 
iàns  une  forte  application  ;  fans  des 
itudes  d'après  les  fîngularités  de  la  na- 
ture. Enfin  fans  des  recherches  médi- 
tées 8c  beaucoup  exercées ,  il  tombera 
-dans  la  vile  multitude  des  Peintres  de 
..ce  genre  xjui  inondent  les  Cabinets 
bourgeois  de  nos  petits  curieux  dont  ils 
'font  les  délices* 

D'ailleurs  les  loifîrs  d'un  grand  Pein- 
.ire  d'Hiftoire  font  rares  &  précieux* 
Après  avoir  rempli  ce  qu'il  doit  à  fà 
religion  ,  à  fa  famille ,  à  Ces  amis  ,  à 
*la  fociété  dont  il  ne  doit  jamais  ledit 
penfer ,  quel  tems  pourra-t'il  prendre 
-pour  divertiflèment  des  grandes  occu- 
pations de  fa  profeûîon ,  s'il  emploie 
ie  peu  qui  lui  reile  a  .travailler  à  <Je 


66  Refexhns 

nouveaux  tableaux  ?  Veut-il  fa  voir  queïs 
font  les  délafïèmens  d'un  Peintre  HiC- 
torien?  C'eft  de  lire  &  d'étudier  nos 
meilleurs  livres  d'Hiftoire  :  d'y  démê- 
ler les.fujets  non-feulement  intéreffans 
Se  pitcorefques  ,  mais  encore  finguliers  , 
&  hors  des  i entiers  battus.  C'eft  d'en 
jetter  tout  de  fuite  les  idées  fur  le  papier 
dans  leur  premier  feu ,  de  crainte  qu'el- 
les ne  fe  refroidirent  en  y  revenant, 
comme  l'ont  pratiqué  tous  nos  grands 
Poètes  &  nos  Ecrivains  célèbres.  C'eft, 
de  faire  la  revue  des  defïèins  où  il 
aura  copié  les  morceaux  de  nos  grands 
Maîtres  qui  l'ont  frapé  :  ou  bien  de 
repaflfer  dans  fes  eflampes  les  merveil- 
les des  excellens  Peintres  anciens  8c  mo- 
dernes ;  de  méditer  profondément  fur 
leurs  beautés  j  de  s'efforcer  de  décou- 
vrir la  fource  qui  les  a  produites ,  le 
germe   qui  a  enfanté   chez  eux  cette 

vie? 


fur  la  Peinture.  67 

-yiCr*  cette  chaleur  d'expreffion  ,  cette 
rare  intelligence ,  cette  élévation  d'idées 
fûblimes  dans  leur  compofîtion  que 
Ton  admiré.  Dans  fes  loifîrs  il  aura 
encore  à  étudier  la  partie  du  Coftume, 
qui  eft  la  religion ,  les  mœurs ,  les  ha- 
billemens ,  les  bâtimens ,  les  Sites  >  les 
arbres  même  de  chaque  païs,. de  cha- 
que nation,  &  fur  tout  de  celle  qui 
fait  le  fujetdu  Tableau  auquel  il  tra* 
vaille. 

Voilà  les  routes  qui  ont  menés  les 
Raphaël,  les  Poufïîn,  les  Rubens ,  les 
le  Brun  Ôc  quelques  autres  fur  le  fom- 
metde  cette  montagne  efearpée  où  eft 
placé  le  temple  de  l'immortalité. 

La  Peine  arrache  feule  aux  Parque* 

leurs  ciseaux, 
Et  les  avares  Dieux  vendent  uut 

aux  Travaux. 


68  Réflexions 

Dans  le  grand  Tableau  du  Sr.  Oudri 
d'onze  pieds  fur  huit ,  qui  repréfente 
la  chaflè  d'un  loup  forcé  par  des  chiens 
étrangers  qui  appartiennent  au  Roi , 
tout  eft  à  remarquer.  I/aéHon  de  ces 
animaux  &  l'expreflion  eftraïante  de 
leur  fureur ,  n'efi:  pas  moins  admirable 
que  l'art  de  fon  pinceau  dans  les  tou- 
ches fermes  de  féroces  de  leurs  têtes, 
ôc  de  leurs  grands  poils  iîngulicrs  Se  hé- 
rifles ,  &  que  la  correction  du  deilèin 
dans  des  positions  momentanées  ,  &C 
difficiles  à  faifir. 

On  voit  encore  un  Tableau  du  mê- 
me auteur  ,  &  dans  le  même  genre 
dans  la  partie  du  Sallon  fur  Pefcalier. 
C'eft  une  chafïè  au  loup  cervier  qui 
n'eft  au  delïôus  du  précédent  que  par 
la  grandeur. 

Il  efb  rare  qu'un  Peintre ,  comme 
un  auteur  excelle  en  plufîeurs  genres. 


fur  U  Peinture,  6$ 

La  vie  fuffit  à  peine  aux  études  Se  aux 
îaborieufes  veilles  que  demande  une 
grande  fupériorité  dans  un  feul.  Ce*- 
pendant  le  Public  n5a  point  encore  dé- 
cidé û  les  Tableaux  de  Chaflè  &  d'Ani- 
maux, que  le  iîeurOudri  fèmble  avoir 
portés  à  leur  perfection,  font  fort  au 
defïus  de  fes  Païfages.  Le  grand  nom- 
bre de  ceux  qu'il  a  peint  pour  le  Roi, 
&  pour  plufieurs  particuliers  ,  lui  a 
fait  un  nom  célèbre  dans  ce  dernier 
talent.  Il  a  préféré  en  ce  genre  le  ftile 
ferme  ôc  vigoureux  qui  eft  le  plus  pï* 
quant ,  au  ftile  vague ,  moelleux  &  au 
grand  fini.  Les  trois  Tableaux  que 
nous  voïons  ici  de  fon  pinceau  fem- 
blent  encore  furpaftèr  ceux  des  années 
précédentes.  Rien  n'eft  plus  heureux 
que  le  choix  de  fes  Sites,  On  diroit  que 
la  nature  voile  fès  charmes  aux  regards 
des  autres  pour  les  déveloper  aux  ûens* 

Gij 


7©  Réflexions 

Elle  s'y  montre  .parée  lie  fes  beautés 
naïves  &  rurales  mille  fois  plus  en* 
chanterefïès  ,  &  plus  analogues  à  nos 
goûts  naturels,  que  celles  des  Palais 
des  Rois.  On  apperçoit  ;  on  fent  pref- 
que  une  fraîcheur  réelle  fous  l'épaifleur 
ôc  la  verdeur  de  fes  groupes  d'arbres 
dont  le  feuille  eft  admirable  ,  &  dont 
il  fait  varier  les  formes  ,  les  touches ,  & 
les  tons  avec  un  art  infini.  Ce  frais  fe 
montre  encore  à  la  faveur  de  fes  eaux 
fi  bien  diftribuées ,  les  unes  tranquilles, 
les  autres  en  mouvement  ;  fon  habile 
pinceau  fait  faire  beauté  de  tout  :  ici 
un  pont  ruiné  ,  là  un  moulin,  plus 
loin  une  chaumière  &  des  mafures 
ajoutent  aux  Sites  familiers  un  Pitto- 
refque  enchanteur  ,  &  forment  de  fî 
aimables  afpedts  que  la  Nature  femble 
s'être  arrangée  pour  le  charme  de  [o& 
comportions. 


fur  ta  Peinturee  71 

Ce  feroit  trop  d'ennui,    fi  j'entre- 
prenois    d'examiner    en    particulier   le 
grand   nombre  des  Tableaux  qui  font 
expofés  cette  année  au  Sallon  dans  un 
très-bel  ordre,  ôc  avec  une  fîmmétrie 
agréable  ôc  difficile  parmi  tant  de  for- 
mes différentes.  La  tapiflèrie  verte  dont 
Môniieiïr   de    Tournehem  ,    Directeur 
Général  des  Arts   ôc  Bâtimens   de  Sa 
Majefté  ,  a  fait    revêtir  les  murs  du 
Sallon  avant  d'y  attacher  les  Tableaux, 
leur  eft  extrêmement  avantageufe ,  ÔC 
cette  attention   de  fa    part    également 
favorable  aux  Peintres  ôc  aux  fpe&a- 
teurs,  a  été  remarquée  du  Public  avec 
plaifir  ,  ôc  a  eu  fes  éloges  ôc,  fa  récon- 
noiflànce. 

Pefpére  que  les  Peintres  célèbres  dont 
la  réputation  eft  ancienne  ôc  décidée  * 
tels  que  Meilleurs  Galloche  ,  Çourtin^ 
Peflyen,  du  Mons^  Boifot ,  Huilliot* 

Giij 


7*  Fixions 

le  Bel,  Poitreau  «Se  quelques  autres  me 
pardonneront  <ie  ne  pas  parler  de  tous 
leurs  Tableaux  expofés.  Ce  feroit  répé- 
ter les  louanges  que  leurs  ouvrages  ont 

;  les  années  précédentes ,  &  entre 
autres  le  heur  Favannes  qui ,  étant  plus 
qu'octogénaire  ,  ne  laine  pas  de  faire 
encore  des  chofes  agréables ,  &  qui  ne 
font  pas  fort  au  deflbus  de  Ton  an- 
cienne réputation.  Ses  Païfages  ont  un 
coup  d'œil  extrêmement  riant  par  le 
frais  5c  la  verdeur  de  fes  arbres  touchés 
clans  une  manière  tendre  ôc  moè'lleufe  ; 
Tes  horifons  fereins  &  clairs  \  fes  ciels 

:ms }  fouvent  an  peu  trop  bleus  ', 
(es  Eaux  d'une  limpidité  céiefte ,  enfin 
le  choix  de  fes  Sites  toujours  agréable 
(ans  être  lingulier.  Il  y  en  a  quatre 
dans  le  milieu  du  Sallon  vis-à-vis  des 
croifées  peints  d'après  nature  3  qui  font 
d'une  vérité  charraame  >  fur  toux  les 


fur  U   Peinture .  f% 

deux  petits.  U  ef:  malheureux  pour  les 
curieux  eue  les  plus  beaux  ouvrages  ce 
ce  Peintre  foie;::  éloignés  ce  Paris. 
Ce!:  au  château  de  Chantelou  à  un 
quart  ce  lieue  cJAmboue  bâti  par  feu 
Monneur  c'Aubigni ,  que  cet  habile 
Peintre  a  déploie  toute  fa  f  snce  en  ce 
bel  Art  dans  la  grande  gallerie.  Il  y  a 
reprefente  toutes  les  cérémonies  e"c  la 
pompe  iuperbe  du  premier  mariage  ce 
Philippe  V.  Roi  d'E magne  ;  Mon- 
iteur d'Aubigni  avoir  ete  envoie  dans 
cette  Cour  fous  Louis  XIY.  &  y 
a  voit  fait  un  long  féjour.  Il  y  a  deux 
Salions  aux  extrémités  de  cc::c  gallerie 
comme  a  celle  de  Yerïaiiies.  La  fable 
de  Phaeton  rai:  le  fujet  de  ces  belles 
Peintures.  On  v  voit  ion  arrive e  dans 
le  Palais  du  Soleil  ,  fa  demande  im- 
prudente à  ion  père  }  la  conduite  de 
£bn  chai;  td&oi  &  Ici  cris  if  s  hâbi» 


74  Ref  exions 

tans  de  la  terre  &  des  eaux  à  l'appro- 
che d'un  embrafement  général  ;  la  puni- 
tion de  Ta  témérité ,  &  enfin  fon  fu- 
perbe  tombeau  élevé  par  Tes  fœurs. 
Toute  la  magnifique  Chapelle  de  ce  châ- 
teau eft  encore  peinte  de  fa  main.  L'on 
peut  dire  avec  vérité  que  les  beautés  de 
ces  ouvrages  font  en  très  -  grand  nom- 
bre ,  Se  feroient  admirées  à  Verfailles. 

Je  reviens  aux  principaux  Tableaux 
dHiftoire  félon  l'ordre  de  leur  grandeur 
&  de  leur  pofition. 

Dans  le  fond  du  Sallon  du  côté  de 
Pefcalier  ,  on  en  voit  deux  grands  pour 
des  defïus  de  portes  de  forme  figurée  > 
que  les  ouvriers  appellent  impropre- 
ment chantournée.  Ces  deux  Tableaux 
qui  font  Pendants  ,  &  deftinés  pour  le 
Cabinet  des  Médailles  à  la  Bibliothè- 
que du  Roi  ,  font  du  fieur  Boucher 
qui  a  de  la  réputation  >  &  repréfen* 


fur  la  Peinture.  y$ 

tent  l'Eloquence  8c  î'Aftronomie.  LJor- 
dorïnance  en  eft  agréable ,  les  drape- 
ries recherchées  &  légères  ,  leurs  tons 
variés  &  aflèz  bien  contraftés.  Il  fèroit 
cependant  aflëz  difficile  de  deviner  l'Elo- 
quence par  la  phi/îonomie  de  la  figure 
qui  la  repréfente,-  8c  qui  eft  extrême- 
ment froide  8c  fans  caractère.  Quel 
feu  !  Quelle  véhémence  nous  doit  rra- 
per  dans  les  traits  qui  annoncent  cet 
Art  Ci  puifïànt  qui  foûmet  les  efprits, 
&  maîtrife  à  fon  gré  toutes  nos  pafïions;? 
On  deiîreroit  dans  fes  chairs  un  coloris 
plus  fort  8c  plus  vigoureux  :  darts  fês 
airs  de  têtes  plus  de  noblelïè  8c  d'ex- 
preffion  ,  fur  tout  dans  ceux  de  Ces  Vier- 
ges ,  &  qui  euflènt  quelque  rapport  par 
la  dignité  8c  la  décence  à  celles  de  Ra- 
phaël, des  Carraches,  du  Guide,  de 
Carie  Marate,  de  le  Brun  ,  Pouiïîn  ,  & 
Mignard  &c.  qui  font  toutes  d'un  carac- 


y  6  Réflexions 

tère  noble  &  dévot  fans  fe  refTembler. 
On  lui  demanderoit  encore  un  peu  plus 
de  vérité  &  de  naturel  dans  fes  attitu- 
des ,  fur  tout  celles  des  Enfans ,  ou  des 
Génies  qui  accompagnent  fes  Sujets , 
&  qui  font  la  plupart  renverfées ,  vio- 
lentes y  fans  néceflité  &  fans  beauté.  Le 
Public  penfe  à  peu  près  de  même  des 
Tableaux  du  fieur  Nattoire  dont  les 
carnations  font  encore  plus  foiblcs  ôc 
dans  un  petit  goût  de  mode  très- clair 
à  la  vérité  ,  mais  en  même  tems  très- 
fade.  Ceft  aujourd'hui  la  teinte  géné- 
rale de  prefque  toutes  nos  productions 
dans  les  Lettres  comme  dans  la  Peinv 
ture  ,  tout  y  eft  de  la  couleur  des  rofes 
6c  en  conferve  la  durée.  On  voit  ce- 
pendant au  Sallon  deux  petits  morceaux 
du  fieur  Nattoire  ,  qui  repréfentent  l'u- 
nion de  la  Peinture  &  du  Deflèin ,  & 
celle  de  la  Poëfie  lirique ,  ôc  de  la  Mu- 


fur  la  Peinture.  77 

fique ,  ôc  l'on  a  trouvé  de  l'agrément 
ôc  de  la  fînefïè  dans  le  pinceau  de  ces- 
deux  petits  Tableaux  dont  les  Sujets 
font  très-propres  au  Cabinet  d'un  con- 
noifleur  aufïï  délicat  que  Monfieur  de 
Julienne  pour  qui  ils  ont  été  faits.  Ce- 
pendant  comme  on  ne  fauroit  conce- 
voir la  Peinture  fans  le  Defïèin ,  Ôc  que 
ces  deux  idées  font  inféparables ,  on 
lui  auroit  defirée  une  compagne  moins 
triviale ,  ôc  qui  ne  fe  trouvât  pas  dans 
tous  les  Tableaux  3  tous  les  defïus  de 
portes  y  dans  tous  les  Emblèmes  anciens 
ôc  modernes ,  ôc  fur  tout  dans  tous  les 
frontifpices  gravés  de  nos  livres  qui 
traitent  de  la  Peinture.  Mais  la  plu- 
part de  nos  Peintres  font  peu  inven- 
teurs y  parce  qu'ils  font  peu  ftudieux  ÔC 
rares  lecteurs  ;  l'Ignorance  eft  fille  de 
la  Parerlè  ,  ôc  la  compagne  chérie  de  la 
médiocrité.   Ennemie  de  l'émulation. 


7%  Refixions 

elle  rétrécit  les  talens ,  &  laifïè  tran- 
quillement à  fès  rivaux  laborieux  la 
gloire  de  l'Invention,  contente  de  rem- 
per  obfcurément  dans  la  foule  des  co- 
piftes  des  penfées  d'autrui  j  femblableô 
à  ces  animaux  ftupides  qui  n'ofent  por- 
ter leurs  pas  hors  de  ceux  qui  les  pré- 
cédent. Ce  n'eu:  pas  ainfi  que  les  Ra- 
phaël ,  les  Poulïîn  ,  les  Rubens ,  le 
Brun  ,  le  Sueur  &  tant  d'autres  ont  ac- 
quis le  titre  »de  grands  hommes ,  &  l'im- 
mortalité dans  leur  profefïion  ,  &  ils 
ont  tous  été  amateurs  du  favoir.  Leurs 
Ouvrages  font  des  livres  ouverts  à  tou- 
tes les  Nations  >  où  tout  inftruit  ;  nulle 
circonftance  néceflàire  au  fujet  n'y  eft 
omife  ,  de  leur  parole  qui  fe  fait  en- 
tendre aux  regards  ,  fouvent  pénétre 
l'ame  plus  profondément  que  les  plus 
éloquens  écrits. 
Dans    le   tableau  d'Alexandre  qui 

coupe 


fur  U  Peinture.  ff 

coupe  le  nœud  Gordien ,  par  le  fieur 
Reftout  ,  on  a  loué  l'ordonnance   & 
quelques  beautés  de  détail.  Sans  fouhai* 
ter  de  l'intérêt  dans  un  fujet  auffi  froid 
^&  auffi  difficile  à  traiter  avec  fuccèss 
on  y  a  defiré  plus  de  variété  &  d'agré- 
ment dans  la  couleur  locale.   Le  nom- 
bre ôc  là  grandeur  des  ouvrages  où  cet 
habile  Peintre  a  excellé  lui  ont  fait  un 
nom  au  defliis  des  éloges  >  fbit  par  les 
toutes  fàvantes  qu'il  a  fu  fe  fraïer  dans 
le  grand  ou  les  défauts  font  Ci  fènfi- 
blés,  foit  dans  fes  exprefïîons  neuves 
•&  éloquentes  dans  les  Sujets  ibuvént 
communs    de    qui   paroiflènt  épuifés. 
Telles  font   celles  du  Tableau   de  la 
Vierge  avec"  l'Enfant  Jefus  dans   l'E- 
glife  du  Séminaire  des  Millions  étran- 
gères ,  où  la  Vierge  eft  reprefêntée  dans 
une  attitude  d'adoration  de  la   fainte 
Trinité  fi  élevée  &  fi  fublime ,  qu'elle 

H 


£ô  Réflexions 

étonne  le  fpe&ateur  en  le  pénétrant 
•d'une  fainte  vénération  pour  ce  Mit 
■êère.  Une  compofition  fi  chrétienne  & 
ii  éclairée  paroît  être  l'ouvrage  d'une 
haute  piété ,  de  d'une  profonde  médi- 

Pauîv  tat*oru  Un  8ran(l  Peintre  {*)  a  dit 
ronefe.  qu'il  feroit  à  fouhaiter  que  tous  les 
Tableaux  des  Egiifes  fulTent  excellais , 
Se  pathétiques  >  il  les  appelloit  des  Pré- 
dicateurs muets  qui  font  fou  vent  plus 
d'imprefïîon  que  la  parole.  On  trouve 
dans  les  vies  des  Saints,  (a)  8c  dans 
celles  de  plufieurs  Peintres ,  des  exem- 
ples de  cette  vérité. 

Deux  Tableaux  du  lieur  Collin  de 
Vermont  ont  arrêtés  agréablement  les 
ïeux  des  fpectateurs.  Le  premier  eft 
tout  près  de  l'efcalier.  Son  Sujet  eft 
une  allégorie  prife  dans  l'Hiftoire.,  & 
des  mieux  penfée.  Augufte  ,  cet  Empe- 

(a  j  s.  Grégoire  de  Nice.  Tableau  du  Sacri- 
fice d'Abwham, 


fur  la  Peinture.  81 

teur  Romain  ,  dont  l'amour  pour  les 
grands  génies  &  les  beaux  Arts  a  plus 
mimortali-fé  le  règne  que  fes  a&ions-  les 
plus  héroïques  y  paroit  ailis  dans  vm 
Heu  décoré  où  il  vient  fe  délaner  du* 
fardeau  de  l'Empire  x  Se  gourer  le  plus 
noble  loiiir  des  Héros.  Tous  les  Arts 
l'environnent.  La  Peinture,  qui  doit  y 
tenir  le  premier  rang ,  eft  plus  près  de 
{à  perfbnne ,  ÔC  lui  offre  un  Tableau 
repréfentant  le  fàcrifîce  d'Iphigénie.  La 
Sculpture  à  côté  d'elle  ,  tient  le  modèle 
d'une  Statue.  L'Hiftoire  s'y  fait  connoî^ 
tre  par  fa  trompette ,  &  fa  couronne 
de  -Laurier.  La  Mufique  ,  la  Géogra-1 
phie ,  l'Architecture  forment  des  grou- 
pes d'une  belle  ordonnance.  L'Auteur 
auroit  pu  varier  davantage  leurs  habille- 
mens  trop  maniérés  y  la  plupart  de  leurs» 
draperies  étant  nouées  fur  une  épaule, 
$c  L'auu;e  déçQuyerce».  Cet  habile  Pein- 

H  ij 


S*  Re'flexiom 

rre  a  eu  depuis  long-tems  les  fuffrages 
du  Public  pour  les  Tableaux  d'Hif- 
toire.  Il  expofa  il  y  a  quelques  années 
une  grande  fuite  de  celle  de  Cyrus  en 
une  vingtaine  de  petits  tableaux.  Le 
Public  y  admira  le  beau  choix  des  évè- 
nemens  d'un  règne  auiïi  célèbre  que 
celui  de  ce  grand  Roi  des  Perfes.  Ces 
efquines  coloriées  avoient  été  faites  pour 
être  gravées,  £:  les  Curieux  en  ver- 
roient  les  eûampes  avec  plaiûr.  Les 
éloges  du  Public  ne  fe  font  pas  bornés 
dans  celui  d'Augufte  à  la  beauté  de 
l'ordonnance  ;  il  a  fenti  tout  l'ingé- 
nieux de  l'Allégorie  qui  a  déguifé  les 
traits  de  Louis  XV.  dont  la  pro- 
tection qu'il  accorde  aux  beaux  Arts 
fait  le  fujet  du  Tableau  ,  fous  les  traits 
de  Céfar.  Tout  le  monde  a  foupçonné 
nôtre  Monarque  bien  aimé  dans  la  fi- 
gure de  l'Empereur,  fans  pouvoir  alfiW 


fur  II  Teinture .  85 

fer  que  ce  fut  Ton  véritable  portrait , 
ce  qui  eût  été  beaucoup  plus  ailé  ,  mais 
bien  moins  adroit ,  de  flateur.  Cfeft 
donc  le  règne  de  Louis  XV.  qui  eil 
défigné  par  celui  d'Augufte  ;  de  qui 
pourroit  exeufer  l'Auteur  des  Anachro- 
nifmes  qu'on  y  a  remarqués.  Tel  efl 
celui  de  la  Gravure  qui  lui  préiente  une 
Eftampe ,  fie  qui  n'a  été  inventée  que 
treize  cens  ans  après  ion  règne  5  auiTî- 
bien  que  les  initrumens,  &  la  forme 
des  livres    entièrement  modernes. 

L'autre  Tableau  du  même  Auteur  eft 
à  l'extrémité  de  la  même  face ,  <Sc  fat 
la  même  ligne,  Ceft  Cléopâtre  fup- 
pliante  aux  genoux  d'Auguite  devenu  > 
fon  maître  par  la  défaite  d'Antoine, 
N'aïant  plus  d'eipérance  qu'en  fa  beau- 
té ,  ni  de  reiîburce  qu'en  la  clémence 
du  Héros  y  elle  paroit  à  fes  ïeux  dans 
un  profond  abaiiïèment  où  elle  emploie 

H  ii; 


84  Réflexions 

rout  l'artifice  de  Tes  charmes  Se  de- (eft 
pleurs  pour  l'émouvoir.  C'eft  ce  mo-. 
ment  que  le  Peintre  a  choifi  pour  le 
fujet  de  fon  Tableau.  On  voit  dans 
fes  traits  une  affliction  accompagnée  de 
dignité.  Cette  figure  eft  fi  remarqua- 
ble par  fon  expreilîon,  &  par  la  belle 
lumière  qui  y  eft  répandue  ,  qu'elle 
rend  celle  d'Augufte  peu  intéreflànte* 
Il  eft  vrai  que  le  caractère  de  clémence ,. 
le  feul  que  le  Peintre  a  du  lui  donner 
dans  cette  fîtuation  ,  eft -une  affection 
de  l'ame  allez  intérieure  >  &  qui  ne 
produit  au  dehors  prefque  aucun  mou- 
vement fenfible  ni  dans  les  traits ,  ni 
dans  l'attitude.  Ceft  ce  que  le  Brun  y 
ce  grand  maître  dans  l'art  de  rendre 
les  paftions  ,  avoir  fenti  dans  fon  ta- 
bleau admirable  des  Reines  de  Perfe 
aux  pieds  d'Alexandre  ,  chef-d'œuvre 
de  jugement  &  de  iemiment  danslex* 


fur  U  Peinture.  $$ 

|>reffion  des  pallions  diverfes  qu'excite 
l'arrivée  de  ce  Prince  chez  tout  ce  qui 
compofè  la  tente  de  Darius  :  la  fou- 
million  ,  ^admiration  ,  la  confiance  >  le 
refpecl:,.  la  crainte y  la  terreur,  nuan- 
ces toutes  différentes  qui  produisent' 
une  abondante  variété  de  phiiionomies 
Se  d'attitudes  exprimées  avec  une  élo- 
quence &  une  convenance  parfaite  8c 
à  la  dignité  des  Princefïès  &  à  lJétac 
de  toutes  les  perfonnes  de  leur  fuite», 
Ouvrage  qui  fera  éternellement  hon- 
neur au  grand  fens  &  au  génie  fubli- 
me  de  cet  excellent  Peintre  ,  PHomere 
&  le  Quinte -Curce  de  L.ouis  XIV, 
Il  favoit  que  la  clémence,  cette  vertu 
d'ailleurs  fî  eftimable  dans  les  Souve- 
rains ,  eft  froide  dans  la  repréfentation  3 
c'eft  ce  qui  lui  (k  afïocier  l'heureux 
effet  que  produit  l'erreur  de  la  mère 
de  Darius  qui   croit   Parménion  être. 


&<>'  •  Réflexion* 

Alexandre  par  Pavantage  de  la  tailfe 
8c  de  l'air  du  favori  fur  celui  du  Hérosr 
ce  qui  occaïîonne  à  ce  dernier  PadHon 
de  prendre  Parménron  Se  de  dire  à  Sili- 
gambis  qu'elle  ne  fe  trompoit  point  ôC 
qu'il  étoit  un  autre  Alexandre. 

Il  y  a  bien  des  beautés  dans  le  ta- 
bleau de  Cléopatre  du  fleur  de  Ver~ 
mont.  La  variété  &  le  choix  des  atti- 
tudes, PexprefTion  des  caractères  des 
femmes  de  cette  Princefîe ,  de  ceux  des 
Officiers  de  la  fuite  d'Augufte ,  Paccord 
des  teintes  vagues  des  figures  placées 
dans  le  fond,  avec  les  plus  vigoureu- 
fes  du  devant  de  la  feene ,  forment  un 
bel  enfemble  &  d'une  heureufe  har- 
monie. Mais  comme  il  eft  peu  de  beau- 
tés exemptes  totalement  de  défauts  s. 
celui  que  Pon  y  a  remarqué  &  le  feul 
eonfiderable ,  c'eft  que  la  Reine  d'E- 
gypte &  PEmpeveur  Romain  n'y  font 


fur  ta  Peinture..  tj 

point  aflêz  caractérifés  pour  être  recon- 
nus fans  le  fècours  du  Livre  imprimé 
qui  en  explique  le  Sujet.  Cette  obfcu- 
rite  naît  du  défaut  d'attributs  qui  leur 
foient  propres  >  foit  dans  les  habille- 
mens  >  le  Héros  n'étant  point  vêtu  à  la 
Romaine  >  ni  l'Egyptienne  en  Africai- 
ne y  foit  par  le  lieu  de  la  lêene  qui 
n'eft  nullement  Hiftorique.  Ce  fujes 
î)*eût  point  été  un  Emblème  pour  le 
fpectateur ,  s'il  eût  pu  voir  quelque 
part  du  Tableau  les  monumens  fomp- 
tueux  ôc  les  fépultures  en  forme  de 
Piramides  que  Cléopatre  avoit  fait  conC- 
iruire  près  du  temple  d'Ifis  pour  s'y 
renfermer  avec  fes  richeflès.  immenfès  >. 
&  d'où  elle  écrivit  à  Augufte  fur  des 
tablettes  de  criftal  dans  les  termes  les 
plus  îupplians.  Un  de  nos  Poètes  cé- 
lèbres a  dont  la  fînefïè  de  l'expreflior* 
<%ale    celle    du    fentiment  9    a   mis 


$t  Réflexions 

en   vers   cette   Epître.    En  voici  deux 

ftrophes. 

Ah    Seigneur  >    X  vos  ïeux  lorf- 

que  j'irai  paroître , 
Prenez,  d'un  ennemi  le  vïfage  irrité: 
Traitez, -moi  s'il  fe peut  comme  un 
fuperbe  maître  > 
Je  cralndrois  trop  votre  bonté* 

Je  m'apprête  a  me  voir  en  efclœ- 
ve  menée 
Dans  ces  murs  orgueilleux  des  fers 

de  tant  de  Rois  : 
La  maïfon  des  Céfars  >  telle  efi  ma 
deftinée  , 
De  moi  doit  triompher  deux  fois. 

Je  penfè  donc  avec  un  favant  Aca« 
démicien  de  nos  jours  y  qu'un  Peintre 
d'Hiftoire  ne  fauroit  trop  étudier  Se 
jwflèmblei;  tout  ce  gui  peut  aider,  à  !Ji% 


fur  U  Teinture.  f>9 

telligence  de  fon  Sujet.  Ceft  ce  qu'à 
-pratiqué  avec  une  févère  exactitude  le 
•lavant  Poulïîn.  Rien  n'étoit  mis  au  ha* 
zard  fur  la  fcene  de  Tes  Tableaux ,  & 
fans  une  rai  fon  relative  aux  lieux.,  aux 
tems ,  aux  mœurs  ,  à  la  Religion  dans 
les  fujets  de  l'Hiftoire  qu'il  expofoit 
aux  regards.  Les  bâtimens ,  les  Tem- 
ples ,  les  Idoles ,  les  habillemens ,  tout 
parloit,  tout  inflruifoit  dans  cette  Poè'fie 
qui  n'a  que  le  moment  d'une  action 
•rapide ,  privée  de  circonftances  précé- 
dentes ,  &  préparatoires  pour  amener 
l'efprk  du  fpedateur  à  cet  événement 
préfent,  de  y  répandre  la  lumière.  Sans 
•cette  maxime  ôc  cette  loi  inviolable, 
l'Hiftorique  en  Peinture  dont  le  but  eft 
-d/inftruire  par  l'agrément ,  devient  un 
travail  de  une  énigme  pour  le  fpecta- 
^teur  qui  le  fatigue  &  fouvent  le  rebute. 
Je  terminerai  les  tableaux  d'Hiftoke 


ço  Réflexions 

|>ar  un  petit  de  cabinet  du  Sieur  Pierre 
tjui  a  étonné   les   connoiflèurs.  Il  eft 
placé  dans  le  dernier  rang  d'en  bas  att 
defïbus  de  fa  Medée.    Le  fujet  en  eft 
£mple  Se  commun.  C'eft  Venus  fur  les 
eaux   couchée  dans    une    coquille    de 
Nacre  :  des  Tritons  Se  des  Naïades  lui 
font  cortège.  Les  uns   attelés  à  cette 
Singulière  voiture  ,    Se  les  autres  près 
d'elle  en  attitude  d'admiration.   On 
d'abord  cherché  avec  avidité  le  noi 
-d'un  pinceau   fi  brillant   que  l'on   ne 
devinoit  point,  Se  l'on  a  été  charr 
d'en  trouver  l'auteur  dans  le  Sr.  Pierre 
qui  a  porté  le  Coloris  dans  cet  ouvn 
ge  à  ce  degré   d'éclat  de  d'agrément. 
On  a  toujours  regardé  cette  partie  com- 
me la  plus  enchanterefïè  des  trois 
la  Peinture ,  celle  qui  appelle  le  Ipec- 
tateur ,   Se  qui  conftituë  fon  nom 
ibn  caractère.   Le  Peintre  qui  n'excel- 
lera 


fur  U  Peinture*  5>* 

Sera  que  dans  la  partie  du  defitèîn ,  ne 
ûra.  jamais  qu'un  grand  Deffinateur» 
Cette  correction  fe  peut  même  acqué- 
rir à  un  certain  point  par  une  étude 
opiniâtre.  On  placera  au  rang  des 
grands  génies  &  des  hommes  d'ima- 
gination,  ceux  qui  mettront  beaucoup 
de  feu,  de  traits  miguliers  &  poétiques 
dans  leurs  ouvrages ,  &  dont  la  veine 
fera  féconde  6c  riche  en  inventions  ; 

Umais  ce  ne  feront  point  encore  là  de 
igrands  Peintres ,  s'ils  ne  nous  enchan- 
tent par  la  couleur.  On  eftimera  un 
excellent  Géomètre  celui  dont  on  ad- 
mirera l'art  &  la  fience  des  raccourcis, 

J*&  des  iilufîons  ctonnafltes  de  la  Perf- 
ipective.,  Mais  l'on  ne  /pourra  jamais 
concevoir  un  véritable  Peintre  fans  la 
partie  du  Coloris.  C'eft  fon  charme  qui 

J  m'attire  par  le  brillant  éclat  des  objets 
imités  P  &  cette,  imitation  portée  au  plu$ 

I 


£2  Refexlons 

haut  degré  efl  fouvent  plus  féduifante  & 
plus  enchantereflè  que  le  vrai  même  au- 
quel elle  ajoute  par  le  choix  de  ce  qui  eft 
le  plus  beau  dans  la  nature  ,  &  dont  on 
ne  fauroit  trouver  Paflèmblage  que  par 
un  heureux  hazard  qui  n'arrive  prefque 
jamais  -,  et  qui  excite  en  nous  un  dou- 
ble plaifir  dans  le  même  inftant ,  celui 
de  la  vue  d'un  objet  parfait  dans  toutes 
lès  parties ,  &  celui  d'admirer  l'art  ôc 
la  magie  de  l'imitateur  qui  nous  trom- 
pe fi  agréablement.  Et  il  ne  faut  pas 
croire  que  cette  haute  intelligence  du 
Coloris ,  &  cet  artifice  de  réduction 
foit  aifée.  Parmi  le  grand  nombre  de 
Peintres  célèbres  dans  les  Ecoles ,  com- 
bien peu  de  parfaits  coloriftes  ?  Leur 
rareté  ne  doit  point  nous  étonner.  Quel 
art  pour  confêrver  la  pureté  des  teintes 
vierges  &  primitives ,  &  les  faire  ce- 
jen4ant  monter  à  ce  degré  éminent  de 


fur  la  Peinture.  $-$ 

fraîcheur  &  de  lumière  par  le  mélange 
des  demi  teintes  fans  altérer  ni  fatiguer 
les  couleurs  fimples  &  fondamentales  ? 
Quelles  recherches  infinies  pour  trouver 
les  tons  vrais  de  ces  demi  teintes ,  ou 
plutôt  quel  heureux  hazard  dans  leur 
découverte  !  Je  dis  un  heureux  hazard , 
puisqu'un  iî  grand  nombre  de  Peintres 
ont  pafle  leur  vie  à  les  chercher  fans 
avoir  pu  y  réufïîr.  Le  Coloris  de  la 
Venus  du  fîeur  Pierre  eft  d'autant  plus 
admirable  qu'il  ne  s'efl  aidé  d'aucun 
fond  ,  d'aucune  oppofîtion  avantageufè. 
C'eft  l'Ether,  c'eft  la  couleur  célefte 
qui  fait  le  champ  de  fon  tableau. 

Après  avoir  rendu  juftice  à  la  beauté 
de  la  couleur  dans  ce  petit  ouvrage  3  je 
crois  afïèz  de  pafïion  à  l'Auteur  d'arri- 
ver à  la  perfection  de  fon  art,  où  il 
femble  voler ,  pour  deiîrer  d'apprendre 
les  fentimens  du  Public  fur  fes  défauts. 


94  Hêjlexions 

Il  a  trouvé  dans,  l'air  de  tête*  de  cette 
brillante  Venus  r  peu  de  nobleffe  &  de 
grâces.   Le  choix  de  fon  attitude  n'eft 
ni    heureux   ni   agréable  j  le  goût  de 
delîèin  en  eft  médiocre  8c  pefant.  On? 
a  obfervé  des  teintes  rougeâtres  dépla- 
cées  fur  le  haut  de  la  gorge.  Dans  les, 
figures  des  Tritons  &  des  Génies ,.  ce-, 
lui  qui  tire  le  berceau  de  la  mère  des. 
Amours  avec  des  traits ,  &  des  liens  fi 
galans  y   porte  un   caractère    barbaref- 
que  &  prefque  horrible  qui  a  déplu  ày 
bien  des  perfonnes.  Plufîeurs    ont   été 
frapées  d'un  contrafte  auffi  violent  avec 
la  plus  belle  des  divinités ,  dont  la  pré- 
fence  feule  doit  répandre  des  Grâces  , 
ou  du  moins  adoucir  la  férocité  de  tout 
ce   qui   l'environne.    On   eft  convenu 
que  le  Triton  principal  qui  eft  fur  le,- 
devant,  eft  peint  avec  beaucoup  d'art  j 
&  des.  touches  fieres  &  favantes  dans-. 


fur  la  Peinture.  9$ 

fa  figure  &  fur  tout  à  la  tête  j  on  les 
a  trouvées  admirables,  mais  point  agréa- 
bles.   Rien  n'eft  encore  mieux  peint , 
&  d'un  meilleur  ton  de  couleur  que  le 
groupe  des  figures  qui  font  à  Tes  cotés  * 
©n  y  voit  des  lumières  de  reflet  imagi- 
nées avec  une  vrai-femblance  furpre* 
nante  ,  6c  qui  produifent  des  effets  très- 
lieureux:  mais  il  y  a  des  négligences 
dans  la  correction  du  Deflêin  qui   ne 
font  pas  pardonnables.   Dans  la  figure 
du    Triton  qui    eft  le    plus    près    de 
Venus ,  ôc  fur  lequel  eft  pofée  fa  main 
droite  ,  le  bras  droit  de  ce  Triton  ,.  qui 
eft  couché  ,  paroît  trop  long  3c  rompu; 
!  dans   la  partie  où  le  gauche  s'appuïe 
fur  lui.    L'effet  du   raccourci  dans  ce 
dernier ,  8c  la  main  même  font  d'un 
Deiïèin    très -négligé    &  peu  correct, 
suffi  bien  que  la  gauche  de  Venus  qui 
*&  dans  la  demi  teinte.  L'Auteur  doit 

1  iij; 


9^  Réflexknt 

bien  fe  garder  de  négliger,  une  partit 
aufïl  efTentielle ,  &  fe  fouvenir  que  Ra- 
phaël ne  s'eft  élevé  fî  haut  que  par  la 
plus  grande  févérité  dans  le  Defïein, 
où  il  ne  s'eft  jamais  permis  de  négli- 
gence, &  dont  il  a  encore  préféré  la 
perfection  à  celle  du  Coloris:  quelque 
éloge  que  j'aïe  fait  de  ce.  Coloris  en- 
chanteur, il  ne  fauroit  plus  me  flater, 
dès  qu'il  brille  fur  des  parties  qui 
choquent  ma  vue  par  les  défauts  de 
leurs  proportions  :  il  ne  fert  au  eon* 
traire  qu'à  me  les  rendre  plus  remar- 
quables. 

Quelques  perfonnes  ont  fait  encore 
une  critique  dans  ce  charmant  tableau  , 
qui  mJa  paru  judicieufe.  Ce  n'eft  point 
un  défaut  dJArt ,  mais  feulement  d'at- 
tention de  l'Auteur.  La  Déefïè  des  Grâ- 
ces &  de  la  beauté  donne  la  préférence 
£  l'un  de  ces  laids  Tritons  pour  lui  fer- 


fur  la  Peinture.  97 

vir  dans  fon  triomphe ,  &:  choifit  Ton 
dos  pour  appuïer  fon  bras  d'y voire  t 
n'eût-il  pas  été  plus  convenable  de  lui 
faire  accorder  cette  faveur  à  une  jeune 
&  agréable  Naïade  parmi  celles  qui 
font  oifives  dans  ce  tableau  ,  à  la  pla~ 
ce  de  cette  figure  à-  barbe  hideufe  ôs. 
dégoûtante -,,  pour  approcher  de  plus 
près  que  toutes  les  autres  fa  perfonne 
divine  >  Un  Peintre  doit  beaucoup  exa- 
miner le  rolle  qui  convient  à  chaque 
Acteur  dans  fon  fujet ,  afin  de  n'en 
faire  jouer  aucun  qui  foir  déplacé,  ou 
inutile. 

Mais  ces  défauts  font  aifés  à  corri- 
ger. Ils  font  même  légers  mis  en  balan- 
ce avec  le  mérite  d'un  auflî  beau  pin- 
ceau ,  &  du  rare  &c  précieux  coloris 
de  ce  petit  ouvrage.  J'ai  cependant 
encore  une  chofe  bien  importante  à  de- 
firer  au  fieur  Pierre  avant  de  quitte^ 


9&  Réflexions 

fon  charmant  Tableau  5  c*eft  qu'il  fe 
fbûtienne  quelque  tems>  dans  cet  éclata 
Qu'il  me  fôit  permis  a  fon  fujet  de 
faire  des  reproches  de  la  part  du  Public 
à  prefque  tous  nos  Peintres  d'à  pré- 
lent  >  fur  le  peu  de  durée  de  leur  Colo- 
ris y  que  dix  années  au  plus  empor- 
tent &c  effacent  au  point  de  mettre  au 
niveau  du  rien ,.  des  Tableaux  achetés 
fort  cher ,  &  qui  nous  avoient  enchan- 
tés. Tels  font  ceux  du  charmant  Vat- 
teau  à  qui  il  n'a  manqué  que  cette 
partie  pour  être  le  Peintre  le  plus  fé- 
duifant.,  &  le  plus  piquant  de  tous 
nos  modernes.  Quels  font  aujourd'hui 
la  plupart  de  fès  Tableaux  :-  Un  aflèm- 
blage  informe  de  couleurs  qui  déton- 
nent  toutes ,  &  qui  ne  laifïènt  aux  fi- 
gures ni  vie  ni  vraifemblance.  A  quel 
point  de  dégoût  les  Rofes  du  Sr.  Tre* 
jPKÛlleieibnt-eUes  aujourd'hui  flétries*. 


fur  la  Peinture,,  $%* 

qu'il  a  mis  fi  fort  à  la  mode  ?  J'en, 
dirois  autant  de  plufieurs  de.  nos  mo- 
dernes fi  frais  &  fi  fleuris,  fi  je  ne~ 
voulois  garder  le  filenee  fur  ceux  qui 
font  vivans..  Je  fai  que  la  fîence  d'em-- 
ploïer  les  couleurs  contribue  beaucoup: 
à  leur  durée  3  mais  la  fource  de  leur 
ruine  vient  aulîî  dans  la  plupart  du: 
peu  de  connoifïànce  en  général  de  nos; 
Peintres  françois  dans  le  choix  des  Cou- 
leurs qu'ils  achètent  toutes  broïéespour 
la  plupart,  Cette  fîence  a  fait  la  prin- 
cipale étude  des  grands  Coloriftes  Fla- 
mands de  Italiens,  Ils  n'ont  épargnés: 
ni  dépenfes  y  ni  voïages  pour  tirer  leurs 
couleurs  des  païs  étrangers  les  plus 
éloignés ,.  8c  pour  les.  puifer  dans  leurs". 
fourcesa,LJceconomie  de  l'Azur  d'Outre- 
mer ,  qui  eft  d'un  grand  prix ,  eft  une- 
caufe  très  -  ordinaire  de  leurs  change- 
mens  -h  lui  feul  bien  emploie  éternife 


i  g©  Reflexions 

la  fraîcheur  &  le  fanguin  des  chairs. 
L'on  y  eft  rarement  trompé  ,  quand  on 
ne  veut  point  ménager  fur  le  prix, 
quoique  celui  de  l'Europe  reflèmble 
beaucoup  à  l'azur  qui  doit  venir  d'Ou- 
tremer ,  c'eft-à-dire  ,  des  Indes  8c  de 
la  Perfe. 

Avant  de  paflèr  aux  beautés  des  Por- 
traits, j'aurois  tort  d'oublier  les  Ta- 
bleaux qui  ont  été  expofés  d'un  de  nos 
François  à  préfent  à  Rome,  qui  ont 
charmés  tous  nos  connoifïeurs ,  &  réu- 
nis tous  les  fuffrages.  Ce  font  les  Mari- 
nes du  fieur  Vernet  Provençal,  dont 
les  beautés  toutes  nouvelles  font  une 
conviction  fenfible  qu'aucun  genre  n'eft 
épuifé ,  même  le  plus  ftérile  par  un 
homme  de  Génie.  C'eft  une  autre  Na- 
ture qui  fe  préfente  à  fes  ïeux.  Ce  grand 
Ipectacle  de  la  Mer ,  dont  aucune  per- 
sonne de  fentiment  ne  fauroit  faûtenir 


fur  U  Peinture.  i©i 

îe  premier  regard  fans  un  faifîfïèmenc 
d'admiration  muette,  fes  bâtimens,  fes 
rochers,  fes  rivages,  fes  Lointains  mer* 
veilieux  Se  fi  variés ,  les  Orages ,  tout 
fe  montre  à  des  ïeux  fàvamment  fpec- 
tateurs  fous  de  nouveaux  afpects.  Tout 
paroît  neuf  dans  fes  productions  par  le 
charme  d'un  Pinceau  Original  quoï- 
qu'imitateur.  Les  effets  d'un  Soleil 
éclipfé  de  brouillards ,  d'affreufes  tem- 
pêtes ,  les  horreurs  d'un  naufrage ,  ob- 
jets d'épouvante  ,  ôc  dont  la  réalité  fait 
frémir  d'effroi  ,  attachent  avidement 
nos  regards  dans  les  Tableaux  du  Sieur 
Vernet  par  la  force  de  la  vérité  ,  &  le 
charme  de  l'imitation.  Le  Public  a  trou- 
vé fa  manière  dans  un  bon  ton  ,  les 
touches  de  fes  rochers  d'une  vérité  neu- 
ve ,  leur  choix  excellent  fans  dureté  ni 
bizarreries  défagréables  dans  leurs  for- 
mes y  qui  quoique  vraies  chez  les  au- 


«ai  Réflexions 

très  Peintres  ne  font  pas  toujours  vrai- 
semblables. On  y  a  cependant  defïré 
un  peu  plus  de  variété  dans  leurs  tein- 
tes ,  dont  le  ton  eft  trop  égal.  L'art  avec 
lequel  il  Fait  participer  des  vapeurs  de 
-cet  Elément ,  les  Rochers ,  les  Bâti- 
mens,  les  Môles  Se  tous  les  objets  qui 
font  fur  la  (cène  ,  anfïi  bien  que  fa  perf- 
pedtive  aérienne  &  nébulcufe ,  tout  cela 
efl  d'un  grand  Peintre ,  d'un  Phificien 
habile  formateur  de  la  Nature ,  dont  il 
fait  épier  les  momens  les  plus  rapides 
ôc  les  plus  Singuliers  avec  une  fagacité 
étonnante.  On  admire  en  lui  un  rival 
du  Claude  dans  l'artifice  de  la  vérité 
-avec  laquelle  il  faifit  ce  qui  n'a  point 
de  piïfe ,  Se  repréfente  ce  qui  eft  fans 
couleur  ,  c'eft  ce  ferein ,  cette  vapeur , 
cet  Atmofphere  chargé  d'une  humidité 
imperceptible.  Supérieur  en  un  point 
au   Lorrain    qui  n'a  pu  enrichir    fês 

beaux 


fur  U  Peinture.  303 

\  beaux  Païfages  de  figures  faîtes  de  fà 
i  -main,  6c qui  fuflènt  fupportables.  Cel- 
I  les  au  contraire  du  fleur  Vernet  font 
defïînées  dans  un  bon  goût  &  agifïènt 
f  même  avec  intention.  On  a  remarque 
•quelques  légers  défauts  de  Perfpedive 
dans  la  fabrique  dJune  efpéce  de  jar- 
din en  terrafïè  planté  de  ciprès  6c  foû- 
-tenu  par  des  arcades ,  où  les  tons  des 
objets  fuïans  foit  dans  la  maçonnerie , 
foit  dans  les  arbres  ,  ne  font  pas  dégra- 
dés. Mais  les  autres  beautés  de  ce  Ta- 
bleau pourroient  faire  excufer  ce  défaut 
qui  mérite  cependant  l'attention  de 
l'Auteur.  La  fcène  de  fes  devants,  8c 
de  fes  Ports  eft  vivante,  animée,  6c 
variée  par  différentes  actions  qui  jettent 
de  l'amufement  où  l'on  n"e  peut  mettre 
de  l'intérêt.  Je  finis  fbn  éloge  en  lui 
confirmant  ceux  du  public  6c  l'admira- 
tion de  wus  nos  connoiflèurs  délicats 

K 


ï°4  Ref  exions 

de  Tes  ouvrages  qui  doivent  faire  beau 
«coup  d'honneur  à  nôtre  Nation  chez 
les  Italiens. 

Je  pa(Iè  à  l'exponuon  des  Portraits , 
le  genre  de  Peinture  aujourd'hui  1< 
plus  à  la  mode ,  &  le  plus  accrédité 
Je  commencerai  par  les  Portraits  à  l'huile 
fort  au  defius  des  Paftels  foit  par  1 
fience  &  la  difficulté  du  fuccès ,  foit 
par  la  folidité  de  leur  durée  qui  ne 
fauroit  être  comparée  aux  beautés  vola- 
tiles des  craïons  ,  &  dont  les  finelïès 
{\  piquantes ,  &  admirées  avec  juftice , 
font  aufli  fragiles  que  la  Glace  qui  les 
défend  ,  &  difparoiflent  à  la  première 
chute  du  Tableau ,  où  à  la  pénétration 
de  la  moindre  humidité  des  lieux  ou 
ils  font  placés. 

Le  fieur  Tournière  comme  le  plus 

ancien  doit  avoir  les  premiers  éloges. 

'Il  les  mérite   par   les  ouvrages  fortis 


fur  la  Peinture.  loy 

anciennement  de  fon  pinceau ,  Se  par 
ceux  qu'il  nous  donne  encore  malgré, 
fon  grand  âge.  Ce  Peintre  a  excellé  dans 
les  petits  Portraits  &  fur,  tout  dans  ceux 
d'environ  un  pied  de  hauteur.  Il  a  mis 
un  art  infini  dans  les  bordures  peintes 
dont  il  les  accompagnoit ,  &  qui  fai- 
ibient  partie  du  Tableau.  Elles  étoient 
ornées  de  petits  animaux  flnguiiers , 
d'infe6fces ,  de  pampres  ,  de  chardons ., 
&  autres  plantes  \  ôc  cela  peint  dans  la 
meilleure  manière  ,  &  d'un  coloris  fon- 
du Se  précieux  comme  celui  des  bons 
pinceaux  Flamands.  Il  a  encore  très- 
bien  réiifïï  dan*  les  lumières  de  flam- 
beaux violentes  &  réfléchies.  Le  Ta- 
bleau de  la  famille  de  Monfieur  Lalle- 
mand  expofé  au  Sallon,  eft  plein  de 
chofes  excellentes ,  fur  tout  dans  la 
partie  à  la  droite  du  fpectateur  peinte 
il  y  a  déjà  long-tems,  &  dans  une  trèv 

Ki; 


io6  Réflexions 

bonne  manière.  Prefque  toute  la  partie 
à  gauche  du  Tableau  a  été  retouchée 
depuis  peu,  &  fort  différente.  Ce  font 
de  nouvelles  têtes  que  l'Auteur  a  mis 
à  la  place  des  perfonnes  de  la  famille 
décédées.  On  voit  encore  d'autres  grands. 
Portraits  de  lui  dans  le  Sallon ,  celui  de: 
Monfieur  le  Duc  de  Brifîàc  a  été  ap- 
prouvé ;  Monfieur  de  Bernage  Prévôt 
des  Marchands  ,  &  quelques  autres.. 
Outre  les  Portraits  il  y  a  encore  de  (on 
pinceau  un-  petit  tableau  de  Julie  dans 
le  temple  de  Vefta  ,  où  les  connoiflèur* 
trouveront  des  chofes  faites  avec  bien  de 
l'efprit. 

Le  nom  du  fîeur  Nattier  fufEt  à  Ces 
Portraits  pour  leur  éloge..  L'avantage 
qu'il  a  fur  la  plupart  en  ce  genre,  d'être 
un  bon  Peintre  d'Hiftoire  ,  lui  donne 
celui  d'une  plus  grande  intelligence 
dans  la  compoûtioa  du:  Portrait,  hifto* 


fur  la  Peinture.  107 

fié.  Ses  têtes  ont  beaucoup   de  force, 
la  pureté  de  fon  deflèin  eft  très-remar- 
quable. La  belle  entente  de  fes  Drape- 
ries >  leur  légèreté  &  leurs  mouvemens., 
leurs  tons  neufs  &  variés  ,  le  travail  de 
fes  ciels ,  &  la  belle  harmonie  de  l'en- 
femble  ,    forment  de  fes  Portraits   de 
vrais   Tableaux.    On  Ira    demanderoic 
un  peu  plus  de  recherche  dans  le  choix 
de  leurs  emblèmes  vulgaires  Se  fou  vent 
répétés.    La  compofition  de  celui  du 
Sieur  Bonier  de  la  Mofïbn  a  des  beau- 
tés très-fîngulières.  La  position  eft  belle  ? 
l'action  vraïe  &  d'un  bon  choix  5  tout 
y  eft  fage  &  bien  penfé.    Le  détail  des 
parties ,  qui  eompofoient  fon  rare  ca- 
binet ;  font  d'un  ton  excellent  -,    tk  il 
refaite   de  ce    bel   exemple   un  repos 
agréable  à  la  vue ,  &  une  harmonie  qui1 
fâtisfait  extrêmement  les  plus  difficiles.. 
Avant  de  finir  l'gmeie  du  fîeur'Naîtier> 

K  ii| 


lUjlex'HUS 
je  dots  paiier  d'un  de   les  pC 
plus  à  mon  gré  de  tous  ceux  que  j  ai 
vu  de  loi.  ez  Xioniieur  le  Corn- 

caar-  i  „a::s  le  Palais  du  grand 

:   celui   - 

on  chef-^  erfecaons  Se  d'a~ 

ras.  Tout  ce  que  l'on  peut  ima- 
giner de  grâce  <S:  a  élégance  dans  une 
phîuonomie  fe  trouve  dans  celie-Là ,  Se. 
en  même  ams  ce  que  le  pr.ee au  peut 
aïîembier  de  nnerlês  dans  l'artifice  de 
la  couleur ,  Se  la  feducoon  ce  Tes  effets , 

!  _jù  dans  cet  otmage.  Je  ne  doute 
pas  que  la  dëiicateâè  du  go-Ji  ce  M. 
ie  Chevalier  ce  G.  q  ak  piqué  le  Sieur 
Narrier  Se  qu'il  n  ak  tait  un  eirbri  de 

ôioa  en  faveur  d'un  connoineur 
aimable ,  Se  bien  pkis  recherché  par  les 
cLarroes  de  (on  eiprk  >  Se  la  candeur 
de  &>a  caiaôere  ^ue  par  uœ  beik  éC 


fur  U  Pchstttre.  :c£ 

ample  collection  d'Efbmpes    tares  & 

étrangères  créneaux & d'antinaux peints 

evceiie~~er.:  i   Gnazze  .    5c  ie   ii  ri- 

bnjLT.ecue    :^^::t   5-    _LT_Z-c    c~     CJ3 

cer^ir.    zenre.     E~e   ccr.ner.:   ::z:    .es 

[ ::t:ti  1:l..z:\:  .ir.:  i\::tz:.:r.  i  _r.  .tz.!, 

&  tout  ce  qui  a  été  imprimé  de  leurs 

£u:ev_r=   .V;:  .:  ::::;   ::  \":.;y-..;;.   Ces 

.'.'.-. t~     :    :  les  rr.ieu:-:   ::r.i.r::".t:  ,   iv 

rikions  des  plus  prénrnics. 

Jrz::       :         -..::    i_  :::_:  Cz-uini 

dans  le  rang  des  Peintres  coenpouxeers  , 

6c  engins. uï.  On  LC:r_ie  ii.z;   ze._:-z: 

le  caler.:  ze  re .-.  :.:.--_:.:-.     :  ..  ;..._: 

eft  propre  ,  6c  iînguiièremen:  naïf ,  cet— 

tains  rnornens  dans  i  es  actions  de  la 

nuilemer.:  z::chChBj  cm  ne 

par  eus- mêmes  aucune  airentiop,  Se 

dont  quelques  -  uns  n'etoitn 

du  chois  ce  i'Aurenr,  ni  des 

§u'qû  >  adnwf  :  iis  Lu  en  ni:  cepea* 


ïio  Réflexions 

dant  une  réputation  jufques  dans  h 
païs  étranger.  Le  Public  avide  de  fes  ta- 
bleaux y  &  hauteur  ne  peignant  que  pour 
fon  arnufement  &:  par  conféquent  très- 
peu  ,  a  recherché  avec  emprefïèment 
pour  s'en  dédommager  les  eftampes  gra- 
vées d'après  fes  ouvrages.  Les  deux 
Portraits  au  Sallon  grands  comme  na- 
ture ,  font  les  premiers  que  j'aie  vu 
de  fa  façon.  Quoiqu'ils  foient  très- 
bien  ,  &  qu'ils  promettent  encore 
mieux ,  il  l'auteur  en  faifoit  fon  occu- 
pation ,  le  Public  feroic  au  defefpoir  de 
lui  voir  abandonner ,  &  même  négli- 
ger un  talent  original  Ôc  un  pinceau 
inventeur  pour  fè  livrer  par  complai- 
fance  à  un  genre  devenu  trop  vulgaire 
&  fans  l'éguillon  du  befoim  II  a  donné 
cette  année  deux  petits  morceaux  au 
Sallon  y  dont  l'un  eft  ancien  avec  quel» 
que  s  changemens  nouveaux  ;  ç'eft  le 


far  U  Peinture.  un 

Beneâicïté  de  l'enfant  iî  connu  3  &  ce- 
lui,  qui  n'avait    point  encore  paru*, 
repréfente  une  aimable  pareflèufe  fbus 
la  figure  d'une  Dame  dans  des  habits; 
négligés  &  de  mode,  avec  une  phifio- 
nomie  aiïèz  piquante  y  envelopée  dans, 
une  coëffe  blanche  nouée  fous  le  men- 
ton qui  lui  cache  les  côtés  du  vifage*. 
Elle  a  un  bras  tombé  fur  fès   genoux: 
qui  tient  négligemment  une  brochure^ 
A  côté  d'elle ,  un  peu  fur  le  derrière,  eft 
un  rouet  à  filer ,    pofé  fur  une  petite* 
table.  On  admire  la  vérité  de  l'imita- 
tion dans  la  finefïè  de  (es  touches ,  fbk 
dans  la  perfonne,  foit  dans  le  travail 
ingénieux  de  ce  rouet ,  &  des  meuble» 
de  la  chambre. 

Le  Peintre  en  Portraits  dont  je  vais, 

parler  ,    s'eft  tiré  de  la  foule  depuis: 

i  long  -  tems    par  d'excellens    ouvrages»., 

]  C'eû  le  Sieur  Tocqué  dont  le  ginceaiïi 


iiï  Ref  exions 

eft  moelleux  &  très  -  agréable  ,  auffi 
hien  que  fa  couleur  dans  un  ton  élevé , 
de  d'une  belle  manière.  Entre  plufieurs 
excellens  que  l'on  voit  de  lui  cette 
année  au  Sallon  ,  celui  d'une  Dame  un 
peu  âgée  en  manchon  a  arrêté  tout 
Paris.  La  bienféance  de  Ton  ajuftement 
extrêmement  conforme  à  fon  âge ,  a 
donné  une  idée  très  -  avantageufe  de 
l'original ,  &  diamétralement  oppofée 
à  Pimpreffion  que  fait  avec  juftice  fur 
le  Public  Pimprudence  de  celles ,  qui 
n'étant  jeunes  ni  jolies ,  fe  font  repré- 
fènter  avec  les  galans  attributs  de  la 
Déefïè  de  la  Jeuneflè,  &  en  pompons 
de  couleurs.  Du  mépris  de  la  Divinité 
on  pa(Te  à  celui  du  Pinceau  que  Pon 
croit  &  fouvent  injuftement ,  Auteur  de 
PApothéofe  ridicule, par  intérêt  ou  par 
adulation. 

Le  Portrait  de  cette  Dame  âgée  ôc 


fur  la  Peinture.  113 

d'une  belle  phifionomie ,  eft  un  ouvra- 
ge excellent  j>  qui  a  eu  l'admiration 
publique ,  8c  qui  la  mérite.  Tout  y  eft 
fait  avec  un  bon  fens  >  un  accord, 
une  vérité  de  couleur  ôc  de  détail  qui 
peut  foûtenir  l'examen  le  plus  févère. 
Il  y  a  des  nuances  dans  les  teintes  du 
vifage  d'un  pinceau  favant.  Le  ton  des 
cheveux ,  des  deux  coëfFures  3  du  lin- 
ge ,  des  étoffes ,  tout  y  eft  parfait  >  & 
rien  à  délirer. 

Celui  du  célèbre  Crébillon  fait  par 
le  Sr.  Aved  eft  encore  un  très-beau  Por- 
trait &  fort  reflèmblant.  Tout  ce  qui 
l'accompagne  y  eft  peint  avec  un  arti- 
fice merveilleux.  Mais  comme  l'imita- 
tion feule  des  traits  du  vifage ,  quel- 
que exacte  qu'elle  foit ,  n'eft  point  fuf- 
fîfante  pour  donner  l'idée  d'un  homme 
aufïî  fingulier  que  celui-ci  3  Se  de  qui 
la  chaleur  du  génie  échauffe  fans  ceflè 


pli}  Rtflexiom 

l'action  ,  &  donne  à  fa  phifîonomie 
toute  la  véhémence  du  Cothurne ,  on 
auroit  fouhaité  qu'à  une  imitation  des 
traits  fi  parfaite  ,  on  eût  jointe  une 
action  liée  par  un  beau  choix  d'attitude 
à  celle  de  fa  phifionomie,  ce  qui  au- 
roit fait  tableau ,  Se  tableau  d'ame  St 
de  caractère.  Et  combien  de  beaux  mo- 
mens  il  y  avoit  à  choifïr  parmi  tous 
-ceux  où  il  déclame  avec  une  force 
d'exprefïîon  iî  pathétique  les  endroits 
fublimes  de  fes  Tragédies  !  On-eft  tout 
étonné  de  le  trouver  ici  en  pied  fur  une 
grande  toile  ,  droit ,  immobile  ,  fans 
action  ,  &  tel  qu'on  ne  le  voit  jamais. 
Le  Portrait  d'ailleurs  eu:  excellent  & 
mérite  les  éloges  qu'il  a  reçu  du  Public, 
&c  tous  ceux  du  même  Auteur  expofés 
dans  le  Sallon. 

Le  fieur  Nonnotte  s'eft  élevé  cette 
«année -ci  dans  le  Portrait  à  un  degré 

de 


fur  U  Peinture.  n$ 

de  réputation  bien  fupérieure  aux  pré- 
cédentes.  Celui  quil  vient  de  donner 
au  Public  lui  a  attiré  des  admirations 
très-méritées.  On  peut  l'appeller  un  Ta- 
bleau par  la  fîenee  de  la  compofkion» 
Il  y  a  placées  deux  ,perfonnes  de  gran- 
deur naturelle  diftinguées  par  leurs  noms 
Se  par  leur  fîenee  -,  dont  il  a  liée  l'ac- 
tion par  une  converfation  d'étude,  & 
ce  qui  eft  penfé  de  bon  fens ,  &  qui 
aide  beaucoup  à  la  vérité  dans  le  Por* 
trait ,  c'eft  que  les   vîfàges  reflèmblent 
parfaitement  fans  avoir  le  défaut  ordi- 
naire  à  la    plupart  des    Portraits    qui 
détournent  leurs  regards  de  l'occupa- 
tion qu'on  leur  donne  ,  pour  les  fixer 
(timidement  ôc  hors  de  propos  fur  le    , 
fpectateur.  On  fent  le  mauvais  effet  de 
cette  routine  dans  le  Tableau  d'ailleurs 
excellent  du  fïeur  Tournière  qui  repré~ 
fente  la  famille  du  fleur  Lailemand, 

L 


i  î  6  Réflexions 

où  ce  grand  nombre  de  figures  qui  ne 
k  parlent  ni  ne  fe  regardent ,  aïant  tous 
les  ïeux  fixés  fur  les  fpe&àtêurs  ^réf- 
femblent  à  des  ftatuës  y  ou  k  des  péri 
formes  qui  jouent  à  la  Medufe  obligées 
de  garder  exactement  l'attitude  où  elles 
font  furprifes.  Il  y  a  cependant  des  oc- 
casions où  il  eft  néeefTaire  du  du  moins 
convenable  d'arrêter  les  ïeux  du  Por- 
trait fur  le  fpedateur  ,  c'eft  loifque  k 
figure  eft  oifive  &  fans  aucune  inten- 
tion. 

Il  y  a  une  infinité  de  beautés  dans  le 
Tableau  du  fieur  Nonnotte  qui  méri- 
tent de  grands  éloges.  La  pofition  aifée 
<$es  deux  figures ,  &c  qui  eft  bien  dans 
le  caractère  de  leur  action  j  c'eft  un 
père  qui  enfeigne  fon  fils:  il  eft  afïîs 
le  plus  en  vue  &  fur  le  devant  du  Ta:- 
bleau.  Il  parle  à  ce  fils  de  la  main 
«droite ,   les  bras  &  les  mains  étant  k 


fur  U  Teinture.  117 

langage  de  la  Peinture ,  il  le  regarde 
pendant  que  ce  fils  mefure  la  figure  de 
la  Terre  fur  un  globe  pofé  entre  eux  % 
le  père  tient  de  l'autre  main  un  livre 
fur  fes  genoux.  Toutes  les  couleurs  des 
chairs  font  d'un  bon  ton*  de  même 
que  les  étoffes  9  &  le  linge  travaillées 
avec  un  grand  fuecès.  L'ordonnance 
de  toutes  les  pièces  de  ce  cabinet  d'é- 
tude eft  recherchée  ôc  favante.  Enfin 
tout  le  détail ,  &  toutes  les  parties  de 
ce  bel  ouvrage  égalent  fbn  auteur  à  ce 
que  nous  avons  de  mieux  en  ce  genre  j 
pour  ne  rien  dire  de  plus. 

Avant  de  quitter  les  portraits  à  l'hui* 
le  y  je  dois  une  louange  particulière  à 
celui  du  fieur  Coypel  qui  s'eft  peint 
lui-même ,  &  dont  j'aurois  du  parler 
des  premiers ,  fi  le  Public  n'étoit  depuis 
iong-tems  accoutumé  à  voir  d'excel- 
lentes chofes-  de  lui    dans   ce  genre* 


u8  Réflexions 

Quoique  l'on  foit  moins  étonné  de 
trouver  la  perfection  du  Portrait  chez 
un  grand  Peintre  d'Hiftoke ,  on  doit 
toujours  de  l'admiration  &  des  éloges 
à  ceux  qui  réunifient  à  un  certain  degré 
de  fupériorité  autant  de  taiens. 

Je  pane  malgré  moi  fous  fdence  plu- 
fieurs  autres  Portraits  à  l'huile  qui  ont 
été  goûtés  ,  tels  que  ceux  du  Sieur  le 
Sueur  ,  &  fur  tout  le  Joueur  de  vieil© 
qui  eft  d'une  bonne  manière  ,  &  d'une 
couleur  excellente  ;  ceux  du  Sieur  des 
Lyen.,  &  quelques  autres. 

Je  viens  aux  Paftels ,  eipéce  de  Pein* 
ture  exceflivement  à  la  mode  ,  &  à 
laquelle  le  Sieur  de  la  Tour  a  donné 
une  .vogue  &  un  crédit  qui  femble  ne 
pouvoir  pas  augmenter ,  par  les  prodi- 
ges qu'il  a  enfanté  en  ce  genre.  Il  eft 
vrai  qu'il  a  fait  une  foule  de  miféra» 
blés  imitateurs,.   Tout  le  monde  a  mis. 


fur  Ia  "Peinture,  1 19 

ces  craïons  de  couleur  à  la  main  :  U 
en  eft  de  même  chez  nous  de  tout. ce 
qui  eft  de  mode ,  le  Public  l'adopte 
avec  fureur.  Combien  l'inimitable  Vat* 
«eau  a  fait  de  mauvais  nages  dans  fon 
tems  I 

Parmi  les  Païtels  de  cette  année ,  le 
Portrait  du  Sieur  Reftout  fait  par  le 
Sieur  de  la  Tour  pour  fa  réception  à 
l'Académie,  a  rafîèmblé  le  plù&defuf. 
fcages.  Il  x  fil  éviter  le  contrefens  que 
}'aiobfervé  ci-deflus3  &c  s'eft  bien  donné 
de  garde^  de  faire  contempler  ifotement 
le  public  à  celui  qu'il  fok  deiliner  d'a- 
près un  modèle*  Bien  des  gens  auroien* 
fouhaité  qu'il  eût  fait  entrer  ce  modela 
dans  fa  compofition  ,  &  que  le  Public 
«ût  été  inftruk  de  ce  qu'il"  regarde  avec 
Geste  vivacité  d'attention  qui  donne 
£ame  &  la  vie  à  fon  portrait.  On  a 
trouvé   cependant    l'expreflion  un   peu 

L  iij 


no  Réflexions 

trop  forte  pour  une  a&ion  auffi  tran* 
quille  ;  elle  paroîc  même  chargée.  L'on 
a- encore  defîré  plus  d'union  dans  les 
chairs  du  vifage  dont  les  touches  font 
un  peu  féches  &  découpées;  elles  au- 
roient  pu  être  mieux  fondues  fans  faire 
tort  à  la  refîèmblance  ,. ce  qu'ila  excel- 
lemment pratiqué  dans  plusieurs  de  fès 
portraits , .  &  ■  particulièrement  dans  ce- 
lui de  M.  Paris  de  Montmartel  qui  eft 
tout  auprès ,  &  qui  eft  parfait..  Toutes 
les  autres  parties  du  Portrait  du  Sieur 
Reftout  méritent  une  attention  particu- 
lière &  femblent  difputer  de  vérité 
avec  la  nature.  L'Etoffe  de  l'habit ,  le 
linge  ,  le  porte-feuille ,  tout  y  eft  à  ad-* 
mirer. 

On  trouvera  encore  au  Sallon  un 
Portrait  en  Paftel  par  le  Sieur  Nattier» 
d'un  particulier  en  bonnet  fourré,  ÔC. 
en  robe  de  chambre  >  qpi  eft  d'une: 


fur  ta  Peinture.  vz.%- 

vigueur  de  couleur  admirable ,  &  d'um 
grand  caractère  de  Defîèin. 

Paurois  bien  des  chofes  à  dire  en  fa* 
veur  des  Paftels-  des  Sieurs  Drouais^ 
Loir  y  Peronneau.  Les- Portraits  en  Mig* 
nature  du  Sieur  Droiiais  mériteroiene 
un  examen  particulier  qui  lui-  feroit 
beaucoup  d'honneur,  &  feroit  entière-» 
ment  à  fon  avantage  y  mais  ce  feroit 
répéter  une  partie  des-  louanges  que  je 
viens  de  donner  aux  talens  de  leurs 
Confrères ,  &  que  je  nJai  point  Part  de 
fàvoir  varier. 

Mon  deuein  étoit  de  me  borner  aux 
réflexions  du  Public  dans  l'examen  des 
Tableaux  expofés  :  le  champ  étoit  aflèz1 
vafte.  Cependant  ce  fîlcnce  fur  les* 
beautés  des  ouvrages  de  nos  Sculpteurs  3 
dont  les  talens  égalent  ceux  de  nos 
Peintres,  quoiqu'il  leur  foit  beaucoup* 
pluç  difficile  df  exceller,  auroit pu  faire 


Ht  Réflexion* 

foupçorrner  le  Public  ou  de  les  avoir 
regardé  avec  indifférence ,  ou  que  fèç- 
jugemens  ne  leur  ont  pas  été  favora- 
bles ,  ce  qui  eft  fort  éloigné  de  la 
vérité  ;  j'en  vais  rendre  un  compte 
exact. 

Je  commence  par  le  Sieur  Bouchar-» 
don  ,  dont  le  cifeau  nous  a  fi  fou-» 
vent  enchanté  par  la  correction,  £  au-» 
tant  que  par  le  grand  goût  de  for* 
Defïèin  comparable  à  celui  de  PAnti- 
que  du  premier  ordre  qu'il  a  toujours 
pris  pour  modèle ,  &  en  dernier  lieu 
par  la  fimple  Se  favante  compofidon 
d'une  Fontaine  rue  de  Grenelle,  qui 
auroit  mérité  un  lieu  plus  favorable  &  ï 
&  beauté  de  l'idée  ôc  à  celle  de  l'jcffifc 
Quel  riche  point  de  vue  auroit  fait  ce 
beau  monument  s'il  eût  été  placé  !  Mais 
sel  eft  le  deftin  de  Paris ,  cette  capi* 
ttk  du  plus  beau  Roïaume  de  l'Uni* 


fur  la  Sculpture.  123 

vers ,  qui  devroit  exceller  fur  toutes  les 
autres  par  la  beauté  de  fes  édifices ,  la 
krgeur  Se  l'allignement  de  fes  rues ,  le 
nombre  de  fês  Places y  l'abondance  Se 
îa  magnificence  de  fes  Fontaines ,  Se 
des  monumens  publics.  Cette  Ville 
cependant  eft  des  plus  irrégulières  Se 
la  moins  décorée.  Rien  n'eft  plus  fen- 
fible  à  la  Nation  que  l'imperfection  du 
Palais  du  Louvre  ,  le  plus  fuperbe  édi- 
fice qui  eût  exifté  fur  la  terre  s'il  eu! 
été  fini.  Le  feul  Periftile  de  la  façade 
du  côté  de  St.  Germain  l'Auxerrois 
avoit  déjà  mis  ce  Palais  au  defliis  de 
tout  ce  que  la  Grèce  &' l'Italie  ont  ja- 
mais élevé  fi  non  de  plus  fomptueux  T 
du  moins  de  plus  correct ,  foit  en  Ar- 
chitecture foit  en  Sculpture.  Quelle 
grandeur  de  goût  !  Quelle  fublimké 
dans  la  belle  ordonnance  Se  les  pro~ 
portions  admirables  de  cette   fuperbe 


i  *4  Réflexions 

Colonnade  !  Quelle  favante  perfection 
dans  la  fculpture  des  Chapiteaux  ,  8z 
dans  l'exécution  de  tous  les  ornemens 
des  Frifes ,  des  Plattebandes ,  8c  des 
Platfonds  I  Quelle  fage  œconomie  dans 
leur  diftribution  1  Toutes  ces  merveil- 
les qui  feroient  la  gloire  &  l'honneur 
de  la  France ,  font  aujourd'hui  aban- 
données ,  de  maiquées  par  des  bâti- 
rnens  de  toute  efpéce  qui  les  environ* 
nent  Se  qui  dérobent  aux  Etrangers ,.  & 
même  aux  Citoïens  le  plains  &  la  fatis* 
faction  de  pouvoir  admirer  leurs  pea* 
près  beautés. 

Je  reviens  au  Sieur  Bouchardon.  Il 
a  expofë  un  modèle  en  plâtre  repré- 
(êntant  le  Dieu  de  l'Amour ,  qui  veut 
(  dit  -  on  )  fe  faire  un  arc  de  la  mailue 
d'Hercule.  La  correction  ,  &  les  belles 
proportions  de  cette  petite  figure  ont 
eu  une  approbation  générale  du  Pts* 


fur  U  Ssuîfture.  iij 

fclic ,  &  beaucoup  d'éloges  des  Artis- 
tes. Les  Curieux  d'un  goût  délicat,  & 
qui  n'admirent  les  beautés  de  l'art 
.qu'autant  qu'elles  fervent  à  l'expreiTion 
d'un  fujet  heureux  &  intérefïant ,  ont 
été  plus  modérés  dans  leurs  éloges, 
-Quelque  fineflè  qui  fok  cachée  fous  le 
Voile  mtftérieux  de  cette  allégorie  afïèz 
-froide  en  faveur  du  pouvoir  de  l'Amour 
fur  les  plus  grands  Héros  ,  la  difficulté 
extrême  d'une  heureufe  exécution  par 
l'impoiïibilité  de  fâifir  dans  cette  ac- 
tion ,  ôz  dans  le  travail  mécanique  de 
ce  Dieu  pour  cette  Métamorphofe ,  un 
moment  de  noblefle  3  d'intérêt ,  ou  de 
vraiiemblance  5  a  été  une  raifon  fuffi- 
fante  aux  connoiffeurs  pour  rejetter  fur 
le  choix  du  fujet  la  froideur  de  l'exé- 
cution. Si  ce  choix ,  comme  il  a  été  dit 
ci-deffus,  eft  fi  important  aux  Peintres, 
combien  fâft-S  davantage  aux  Sculf- 


•126  Refexicrns 

teurs  privés  du  fecours  des  couleurs 
jpour  rendre  celle  de  la  Nature ,  & 
-donner  la  vie  &  la  vérité  aux  objets  ! 
Joignez  encore  à  ce  défamt ,  celui  des 
vEpifodes  pour  aider  à  l'intelligence  &  à 
l'intérêt  du  fujet ,  qui  font  ordinaire- 
ment rares  ,  &  en  très-  petit  nombre  * 
tel  eft  celui-ci  où  il  feroit  difficile  d'en 
(placer.  Sculpture  n'a  donc  pour  s'ex- 
primer que  la  voix  de  l'action  dans  (es 
■figures.  C'eft  fon  éloquence  qui  leur 
donne  feule  le  mouvement  &  la  vie., 
qui  peut  annoncer  clairement  fon  fujet 
au  fpe&ateur  ,  &  par-là  y  jetter  de  l'in- 
térêt ,  fuppofé  que  l'Auteur  ait  fait 
choix  de  quelqu'un  qui  en  foit  fufcep- 
tible ,  c'eft  ce  que  le  fieur  Bouchardon 
n'auroit  pu  faire  ici  avec  toute  la  îience 
de  fon  cifeau  &  fon  génie.  L'effort 
de  ce  Dieu  &  fon  appui  fur  un  mor- 
ceau de   bois  &   dont  on  ne  fauroit 

prévoir 


fur  U  Sculpture,  tiy 

prévoir  lé  defïèin*  fans  aucun  inftru- 
ment  dans  fes  mains  pour  l'exécuter , 
rendra  peut-être  cet  ouvrage  une  énig- 
me à  la  poftèrité* 

A  l'égard  des  beautés  de  ce  petit 
^modèle,  on  convient  que  les  contours 
en  font  coulans ,  élégans,dans  le  goût 
le  plus  excellent ,  &  les  proportions  les 
plus  autorifées  dé  l'antique,  fl  y  a  ce- 
pendant des  afpects  qui  lui  font  peu 
favorables.  Tel  eft  celui  du  côté  où  là 
tête  eft  tournée  3  &  regarde  le  fpe&a- 
teur  afïèz  froidement  &  fans  nécefîité. 
fon  bras  qui  s'abaiflè  &c  femble  s'unir 
à  fa  cuiflè,  forme  à  la  vue  des  parties 
maigres  >  extrêmement  allongées  >  dont 
l'effet  n'eft  pas  heureux. 

Le  Public  n'a  pas  à  craindre  que  fes 
réflexions  ne  foient  bien  reçues  de  la 
part  de  ce  grand  Sculpteur.  Il  a  tou- 
jours admiré  avec  juftice  ce  que  foa 

M 


nS  Réflexions 

cifeau  a  fait  d'excellent ,  aufïî  bien  que 
fon  divin  craïbn  qui  nous  a  donné  des 
deflèins  comparables  à  tout  ce  que  les 
plus  grands  maîtres  de  l'Italie  nous  ont 
laide  dans  ce  genre. 

Les  quatre  buftes  de  marbre  blanc 
qui  fe  voient  à  la  fuite  du  modèle 
dont  je  viens  de  parler  ,  font  de  la 
main  d'un  très  -  habile  Académicien  le 
Sieur  Adam  l'aîné.  Il  a  fi  fouvent  rem- 
porté les  fufFrages  du  Public  par  les 
belles  productions  de  fon  cifeau  ?  qu'il 
feroit  inutile  d'en  faire  l'éloge.  Le  mo- 
dèle de  St.  Jérôme  pour  l'Eglife  des 
Invalides  qu'il  expofa  l'année  dernière  , 
fut  regardé  comme  un  chef-d'œuvre 
par  la  beauté  de  fa  compofition ,  &  par 
lexpreiTion  fublime  qu'il  avoit  jette  fur 
le  vifage  de  ce  Père  de  l'Eglife.  Ces 
quatre  bulles-  ci ,  dont  le  marbre  eft 
manié  avec  bien  de  l'art ,  repréfentenc 


fur  la  Sculpture.  129 

les  quatre  Elémens.  L'Air  eft  habillé 
d'une  façon  ingénieufe.  Sa  draperie  eft 
formée  de  la  dépouille  d'une  Aigle  9 
dont  la  tête  tombe  d'un  côté  fur  le 
devant  de  l'eftomac,  &  les  pieds  de 
l'autre  fur  le  même  devant  du  bufte. 
L'air  de  tête  de  celle  qui  eft  coë'rTée  de 
feuilles  de  jonc  ,  fimbole  de  l'Eau,  eft 
d'un  goût  noble  de  extrêmement  gra- 
cieux. Il  y  a  des  petits  détails  à  remar- 
quer dans  ces  buftes ,  dont  le  fini  eft 
admirable.  Celui  du  Feu  eft  un  peu  pe- 
fant  &  le  moins  heureux. 

Les  modèles  que  l'on  voit  à  la  croi- 
fée  au  defTus  font  du  Sr.  le  Moine  le  fils 
dont  on  peut  appeller  le  cifeau  celui  des 
Grâces.  Faveur  rare  !  8c  que  ces  Déefïès 
n'accordent  ni  aux  defirs*  ni  aux  tra- 
vaux y  quand  elles  n'en  ont  pas  doué 
le  Peintre  ou  le  Sculpteur  à  fa  naifïàn- 
cc!  C'eft  une  efpèce  de  charme  dirE- 

M  rj 


I  *o  R/flexïons 

cile  à  définir,  Ceft  une  VenuJH ,  fi  j'ofè 
me  fervir  de  ce  terme  ,  répandue  fur 
toute  la  figure,   Se  principalement  fur- 
fès  traits,  qui  produit  cet  intérêt  ten-. 
dre ,  cette  admiration  douce  &   inté- 
rieure que  nous  fèntons  à   la  vue  de 
certains  ouvrages  ,  tek  que  plufieurs  de 
Raphaël ,  de   l'Albane ,    &  des  belles, 
ftatuës   Grecques.    Ceft  fur  le  modèle 
du  fieur  le  Moine  qu'a   été  fondue  la. 
fameufe  figure  équeftre  de  Louis  XV, 
pour  la  ville  de  Bordeaux   &   qui  l'a 
comblé  d'honneur.    Il  a    expofé  cette 
année-ci  au  Sallon  cinq  pièces.  La  pre- 
mière eft  le  modèle  de  la  figure  de  St. 
Grégoire   pour   l'Eglife   des  Invalides.. 
On   admire   dans    fa  phifionomie   un 
caractère  de  piété  &  de  dignité  qui  im-- 
prime  du  refpect  pour  ce  Pontife ,  &  qui 
prêche  autant  la  pénitence  que  les  pa-. 
rôles  du  faim  Evangile  qu'il  tient  à  lifc 


fur  U  Sculpture.  i£t 

main.  La  draperie  de  fes  habits  Ponti- 
ficaux eft  d'une  {implicite  majeftueufe, 
£e  modèle  a  été  généralement  approu- 
vé. Trois  portraits  en  terre  cuite  font  à 
côté.  Celui  du  milieu  eft  le  bufte  du 
Sieur  Parrocel ,  qui  fait  tant  d'honneur 
à  la  Peinture ,  &  à  fa  nation.  Le  Pu- 
blic a  été  très  fàtisfait  de  voir  la  belle 
phiiionomie  de  celui  dont  il  admire  ks 
Ouvrages  dans  le  Sallon..  Dans  l'exa*- 
men  des  Tableaux  y  j'ai  oublié  de  par- 
ler de  trois  moïens  de  fa  façon»  L'un 
eft  Monfieur  le  Duc  d'Orléans  ..,  ache- 
vai y  dont  la  pofition  eft  hardie ,  $t 
d'un  beau  choix.  Les  autres  font  une 
Bataille ,  &  deux  petits  camps  de  Gar- 
des Françoifes  &  Suiflès-»  d'une  ma- 
nière peu  finie  ,  mais  touchés  d'art ,  8ç 
aîvec  une  vérité  fenflble  aux  ignorans 
comme  aux  connoifïèurs- 

On  voit  aux  cotés  du  portrait  dxt 

M  iij, 


1 3  ï  Ref  exions 

Sieur  Parrocel  en  terre  cuite ,  deux  pc^ 
tits  buftes  de  la  même  matière  &  du 
même  Auteur.  Ce  font  deux  portraits 
ou  l'argile  eft  maniée  avec  beaucoup* 
d'efprit  3  &  avec  ces  grâces  qui  lui  font 
familières.  On  trouve  au  même  en* 
droit ,  Se  de  la  même  main ,  un  très- 
petit  modèle  de  Narciflè  (T  connu  dans 
la  Fable  par  la  punition  de  Ton  amour 
propre.  Quoiqu'il  foit  extrêmement- 
croqué ,  tout  y  eft  feu  &  génie. 

Deux  grands  bas  reliefs  en  plâtre 
ovales  dans  la  croifée  au  deftus,  font 
les  modèles  de  ceux  que  l'on  voit  au 
portail  de  l'Eglife  des  P.  P.  de  l'Ora- 
toire St.  Honoré  qui  vient  d'être  ache- 
vée ,  &  dont  l'Architecture  eft  compo- 
fée  de  deux  Ordres ,  l'Ionique  au  rez- 
de-chauflee ,  &  au  delfus  le  Corin» 
thien.  Elle  eft  d'une  belle  proportion  y 
éc  d'un  deflèin  fage  &  correcl: ,  quoi- 


fur  l'a  Sculpture,  p$j| 

que  fans  invention.  Ce  Portail  a  été: 
fort  approuvé  du  Public,' &  il  le  mé~ 
rite  par  la  propreté  de  l'appareil ,  &  lai 
recherche  de  la  fculpture.  Il  a  la  defti— 
née  de  tous  les  beaux  morceaux  dJ Ar- 
chitecture de  cette  Ville  ,  c'eft  qu'ont 
ne  fauroir  les  voir  :  je  veux  dire  que 
l'on  ne  peut  fe  placer  dans  un  poinc 
de  vue  convenable  pour  les  obferver» 
Tout  le  monde  fait  que  dans  les  règles 
de  la  Perfpective ,  pour  bien  juger  des 
proportions  d'un  bâtiment  en  hauteur  <> 
tel  qu'une  façade  d'Eglife ,  un  Portail  y 
une  Tour ,  &c.  il  faut  être  placé  dans 
une  diftance  au  moins  égale  à  fa  hau- 
teur. Si  fa  hauteur,  par  exemple  ,  eflde 
vingt  toifes,  il  faut  que  l'oeil  du  fpec- 
tateur  fbit  éloigné  au  moins  de  vingt 
toifès  du  pied  de  l'Edifice,  afin  que 
les  raïons  qui  partent  de  l'œil ,  en  puif» 
fcnt  embraflÈr  toutes  les  parties ,  juger 


ï£4  Refexïon? 

des  effets  de  l'enfemble  ,  &  fi  PArdii- 
te&e  a  eu  égard  aux  règles  de  l'Opti- 
que dans  fa  compoficion.  Dans  un  bâ- 
timent en  largsur  ,  l'œil  du  fpectateui: 
doit  faire  le  fommet  d'un  angle  équi- 
ktéral  dont  la  façade  du  bâtiment  eft 
k  bafe.  On  voit  par -là  s'il  eft  beau- 
coup de  morceaux  d'Architecture  dans 
cette  Ville -ci,  &  fur  tout  de  Portails 
d'Eglife  que  l'on  punie  obferver  dans 
leur  point  de  vue..  Le  premier  de  tou3 
&  qui  eft  eftimé  un  des  plus  parfaits 
de  l'Europe ,  celui  de  St.  Gervais ,  a 
le  même  inconvénient  que  le  nou- 
veau de  l'Oratoire.  Cétoit  cependant 
celui  de  tous  où  il  eût  été  le  plus  aifé 
de  remédier  aux  obftacles  qui  en  déro- 
bent la  vue.  De  petites  maifons  laides 
&  caduques  3  qui  dépendent  de  la 
Ville,  menacèrent  ruine  il  y  a  queli» 
qjies  années ,  de  L'on  fut  contraint  de 


fur  U  Sculpture.  ï  3  j 

les  démolir.  Un  zélé  Citoïen  (*)  fort  W 
confideré  dans  la  place  qu'il  occupe, 
mais  bien  plus  eftimé  par  fes  fentimens,. 
fe  mit,  pour  ainfî  dire,  aux  pieds  de 
Monfîeur  *  *  *.  pour  obtenir  au  nom 
de  toute  la  Ville  de  ne  point  rebâtir 
dans  l'efpace  nécelïaire  pour  permettre 
la  vue  de  ce  bel  ouvrage,  monument 
de  l'habileté  de  nôtre  nation  &  qu'elle 
peut  oppofèr  à  tout  ce  que  l'Italie,  a  de 
plus  correct ,.  8t  de  plus  admirable  en 
ce  genre.  Il  eût  beau  fupplier ,  il  ne 
put  jamais  trouver  4e  Citoïen  dans  le 
Magiftrat  »  ni  le  rendre  fenfible  à  ce? 
qui  lui  auroit  fait  éternellement  hon- 
neur. Il  perfifta  à  préférer  un  vil  ÔC 
très -modique  intérêt  au  bonheur  de 
s'immortalifer ,,  &  d'être  comblé  d'élo- 
ges  ,  en  faifant  jouïr  fes  compatriotes-: 
d'un  {pedbable  fi  cher  &  Ci  précieux: 
aux  amateurs  des  beaux  Arts  étrangers; 


i$6  Réflexions 

8c  regnicoleSr  Ce  fait  arrivé  parmi  nous 
au  milieu  du  Roïaume  ,  dans  le  fein 
de  la  Capitale  ,  pourroit  -  il  être  cru 
chez  les  Peuples  (auvages ,  8c  les  moins 
policés  ,  mais  capables  de  raifonne- 
mens  ;  fî  3  après  les  avoir  inftruits  de 
nos  goûts  8c  de  nôtre  pafïion  pour  les 
beaux  Arts ,  jufques  à  établir  des  Aca- 
démies  en  leur  faveur,  ils  nous  voïoient 
agir  d'une  façon  entièrement  oppofée 
à  nos  fentimens ,  à  nos  intentions ,  8c 
au  but  de  nos  établifïemcns  !  pour- 
roient-ils  Hlflfcl#  kl*i  fliraii  »  une  Na- 


tion auflî  inconféquente  ? 

La  plupart  des  autres  Portails  n'ont 
pas  de  plus  heureux  emplacemens.  Or* 
ne  fauroit  voir  celui  de  la  Chapelle  des 
Orfèvres  du  defTem  du  célèbre  Phili- 
bert de  Lorme  ,  le  premier  François 
qui  ait  ofé  bannir  le  goût  Gothique  de 
notre    Architecture  >    8c  y    fubltituëc 


fur  la  Sculpture.  137 

les  belles  proportions  de  l'Antique  , 
qu'il  a  eraploïées  dans  la  Façade  du-, 
Palais  des  Tuilleries  du  côté  du  Jar- 
din. 

Le  nouveau  Portail  de  la  chapelle  de 
St.  Louis  du  Louvre  inventé  Se  conduit 
par  l'illuftre  Germain  Orfèvre  de  S.  M. 
û  célèbre  dans  toute  l'Europe  par  le 
goût  exquis  ôc  fublime  qu'il  met  dans 
tous  fes  ouvrages  :  ce  morceau  d'archi- 
tecture ,  où  il  y  a  beaucoup  plus  de 
génie  Se  d'invention  que  dans  ce  qui  a 
été  fait  en  ce  genre  depuis  bien  des 
années  ,  eft  encore  entièrement  hors 
du  point  de  vue ,  &  il  eft  prefque  in> 
poflîble  d'en  découvrir  l'effet. 

A  l'égard  de  celui  de  St.  Sulpice  ,  le 
plus  fomptueux  de  tous,  ce  feroit  un 
grand  avantage  pour  nos  neveux  s'ils 
ne  pouvoient  jamais  Pappercevoir. 
Comment  pourront -ils  croire  que  ce 


i$S  Réflexions 

tn.^nument  qui  doit  être  étemel  pat 
les  Tommes  immenfes  &  dont  peut-être 
il  n'y  a  point  d'exemple  ,  que  Ton  a 
emploïees  à  la  folidké  de  fa  conftruc- 
tion  ii  exceilîve  qu'elle  en  eft  ridicule , 
de  îorte  que  l'on  pourroit  encore  éle- 
ver un  fécond  Portail  &:  une  féconde 
Eglife.  de  la  même  grandeur  fur  la  pre- 
mière avec  la  plus  grande  fécurité. 
Comment ,  dis- je  ,  pourront-ils  croire 
que  ces  Edifice  ait  été  conitruit  du 
tems  des  Bofrrand  ,  des  le  Mère  ,  des 
d'Orbai ,  des  le  Blond ,  des  Cartaut , 
des  Contant  3  &  une  infinité  d'autres 
cxcellens  académiciens  que  l'on  n'a 
point  vus  s'écarter  des  bonnes  règles 
&  des  belles  proportions  ,  ôc  qu'on 
leur  ait  préféré  en  dernier  lieu  pour 
un  ouvrage  auiTî  capital  &  aufli  coniî- 
dérable  qu'il  s'en  trouve  à  peine  un 
fcul  de  cette  importance  dans  un  demi 

fiécle 


fur  U   Sculpture,  fff 

fiécle  ,  qu'on  leur  a.::  ,  dis-je  ,  préteré 
les  écarts  Se  les  carnets  d'un  étranger, 
habile  ceccrateur  as  théâtre  à  la  vérités 
mais  mi: érable  Architecte  ?  Pcurrort- 
ls  en  croire  leurs  :eux  quand  Lis  ver- 
ront la  Lctr.ce  &  le  faux  goût  Ultru- 
rnontain  triomphe:  i:  pomp^uiemeu: 
dans  tout  ce:  Edifice  ,  aa  milieu  d'u- 
ne Ville  où  a  règne  il  v  au  jeu  ne 
rems  la  perfection  des  Ans  ?  Il  ett  vrai 
eu  il  e:oi:  fer:  ccnvenable  eue  le  Por- 
tail eu:  un  ri??:::  hemlble  a  la  cem- 
don  de  tout  l'intérieur,  auùu  bien 
que  la  Tribu  :  :  ...  /:...:  le-  ;:- 
gués  qui  lui  e:t  adcfiee  èo  qui  me:  le 
comble  à  Idmpeaitie  de  tout  ce  c  ani- 
ment. 

On  me  pardonnera  cette  cigrellloa 
en  faveur  de  celui  de  tous  les  Arts  le 
plus  grand  ,  le  plus  m.vedueux,  oc  le 
plus  utile  à  la  iociete.  Celui  qui  armer.- 

N 


*4G  Ref exions 

ce  aux  étrangers  &  à  tous  les  peuples 
les  plus  groiliers  la  magnificence  &  la- 
puiiTance  d'une   Nation ,  &  en   même 

ou 

tems  l'excellence  M-  la  médiocrité  de 
fon  génie ,  félon  que  l'Archite&ure  de 
Tes  Palais ,  de  fes  Temples  j>  defes  Hôtels 
publics  Se  particuliers  ,  eft  bien  ou  mal 
conçue*  &  proportionnée.  Elle  eft  l'épo- 
que la  plus  vifible  &  la  plus  durable 
des  règnes  heureux  &  pacifiques ,  auiïî 
bien  qu'une  preuve  certaine  &  rare- 
ment équivoque  de  grandeur  dans  le 
caractère  du  Souverain  égal  à  la  gran- 
deur de  Ton  goût  dans  les  monumens 
qui  ont  été  élevés  fous  fon  règne. 

Je  reviens  au  bas  relief  du  Sr.  Adam 
le  jeune  excellent  fculpteur  qui  font  les 
modèles  des  deux  que  l'on  voit  au 
Poitail  de  l'Oratoire  ,  dont  l'un  repré- 
fènte  une  Nativité  de  Nôtre  Seigneur , 
&  l'autre  fon  agonie  au  jardin  des  oli* 


fur  la  Sculpture.  141 

viers.  On  admire  dans  ce  dernier  l'ex- 
prelTion  couchante  de  PanéantiiTement 
du  Chrift.  Le  Public  a  cherché  inuti- 
lement le  rapport  du  fujet  fingulier  de 
ce  bas  relief  avec  les  Miitères  de  J.  C. 
que  l'on  honore  particulièrement  dans 
les  Egliies  de  cette  Congrégation  ,  qui 
font  fa  Nailîance ,  fon  enfance ,  6c  les 
Grandeurs. 

On  voit  encore  du  même  Auteur  à 
coté  de  ces  bas  reliefs  le  modèle  de 
la  Déeue  Iris  qui  attache  à  fon  bi'as 
une  de  fes  ailes.  Cette  figure  a  eu  des 
regards  du  Public  très  favorables.  La 
pofition  de  toutes  fes  parties  bien  con- 
tralrées  ,  le  choix  avantageux  de  fon  ac- 
tion ,  les  grâces  de  fa  tête,  tout  en  plaît, 
&  y  fait  agrément. 

Le   Sieur  Falconnet ,  dont  le  àl 
a    de  la  réputation ,    a  placé   dans    U 
même  croilée  un  modèle  en  terre  cuite 

N  ij 


H*  R/jiexions 

par  lequel  il  a  voulu  repréfènter  le  Gé- 
nie  de  la  Sculpture.  Il  y  a  de  la  correc- 
tion dans  le  Deiîein  ,  &  de  la  ûence 
dans  rattitude.  L'air  de  tète  eft  un  peu 
fade  &  fans  caractère  ,  &  l'on  n'a  pas, 
trouvée  l'idée  de  l'allégorie  remplie  par 
celle  de  la  compo/kion. 

On  a  remarqué  du  génie  dans  les 
deux  petits  croquis  en  terre  cuite  du 
Sieur  Vinache.  Dans  fa  belle  figure  de 
fainte  Therefe ,  Ton  a  admiré  l'expref- 
iion  de  Ton  attitude  ,  où  Ton  cœur  fem- 
ble  s'élever  &  s'unir  à  celui  qui  en  eft 
l'objet.  Les  plis  de  fa  robe  &  de  fon 
manteau  font  jettes  avec  beaucoup  de 
majeflé  Se  de  vérité. 

Les  DetTeins  expofés  dans  les  embra- 
fines  des  croifées  3  dom4arplûpart  font 
fous  glace  ,  ont  arrêtés  trop  agréable- 
ment les  ïeux  du  Public  pour  les  palier 
fous  ûlence.   Il  a  été  enchanté  de  voir 


fur  U  Sculpture.  143 

dan?  la  préfère  d:en  h.  au:  les  efcuules 

aes  Victoires  de  fon  Roi  tracées  parla 

main  lavante  du  Sr.  Parrocel  :  elles  lui 

ont  annoncé  que  le  pinceau  de  ce  grand 

homme  aufa   efamuble  par   :es   rr.ceurs 

àmirable  par  fes  talens ,  avoir  été 

i  pai  Sa    Majeïté  pour  être  1H.  - 

:    :    de  fes  co.ncuèzes  ,   en  perpe- 

:   chez  la   pof:e:i:e  .   5c 

réveiller  la  valeur  des  François  à  venir 

ça:  les    images  vivames    ce    ce..e:    ae 

Louis    XV,    qui    refpirera   e:e:r.eLle- 

(bs  Tableaux. 

Les  craïons  au  Sieur  Hurtin  or.:  eu 

le   plus  grand   nombre  d'admirateurs, 

me  rare  &  llngulier,  dont  l'habile 

main,    à    l'exemple    au    a;  aa   Pugetâ 

manie  egalemen:  le    Pinceau  ce  le  Ci- 

11        a   au  Sallon  un  modèle  en 

plâtre  de  lui  de  deux  pieds  de  hauteur, 

a.  oublie  de  parler,  qui  te 

N  iij 


J44  Refexîom 

fente  le  nautonnier  Caron.  Il  y  a  du 
feu  &.  de  la  chaleur  dans  fon  action,, 
fon  caractère  avare  &  inexorable  for- 
me tiomtc  fa  phiûonomie  ôc  toute  la  fi- 
gure eit  dans  un  bon  goût  de  Deftèuu 
Parmi  les  craïons  expofés  de  fa  com- 
pofîtion  ,  on  admire  l'invention  & 
l'ordonnance  de  celui  qui  eft  nommé 
le  Repos  de  la  Vierge.  L'attitude  des 
Efprits  céleftes  eft  belle  ,  &  d'un  bon 
choix.  Il  y  en  a  deux  fur  le  côté  du 
Tableau  de-bout ,  &  les  bras  croifés 
qui  contemplent  paifiblement  Jefus- 
Chrift.  On  voit  aifément  que  l'Auteur 
leur  a  donné  cette  attitude  d'attention 
pour  les  faire  veiller  fur  ce  divin  En- 
fant pendant  le  fommeil  de  la  Vierge 
&  de  St.  Jofeph.  Celui  qui  eft  en  haut; 
&  qui  développe  une  grande  Draperie 
pour  former  un  Dais  à  ce  Groupe  di- 
vin ,  eft  une  idée  allez  heureufe  &  qui 


far  ta  Sculpture,  'tçf? 

fait  beauté  dans  la  compofition  a  laquelle 
on  ne  fauroit  rerufer  des  éloges  ,  ainfr 
qu'à  fa  nouveauté.  Mérite  rare  &  dé- 
licat dans  des  fujets  dont  les  bornes, 
font  fi  étroitement  fixées  par  les  Livres 
faints  y  lorfqu'on  veut  éviter  les  licen- 
ces fcandaleufes  qui  font  le  plus  fou** 
vent  les  effets  de  l'ignorance  de  quel- 
ques Italiens  ,  8c  de  plufieurs  Peintres^ 
étrangers  ,  dans  des  Miftères  où  les  plaL- 
fanteries  font  toujours  déplacées  &  cho-- 
quantes,  {bit  dans  le  difcours3  foitdans 
les  repréfentations.. 

Le  Deflèin  du  même  Auteur  qui  re- 
préfènte  un  Maufolée ,  efi:  dans  le  bon: 
goût  de  l'antique.  Les  attitudes  des  fi- 
gures qui  font  au  bas  de  l'ouvrage  fbnt 
d'un  beau  choix  pour  l'exprefîîon  de 
l'afrli&ion  &  des  regrets.  L'a&ion  de 
celle  qui  décore  l'urne  funéraire  d'une 
Draperie ,  eft  froide  &  inutile  au  fu* 


146  Réflexions 

jet,  quoique  avantageufe  à  la  compev 

fïtion. 

Dans  le  Defïèin  qui  repréfente  une 
Bacchanale ,  on  y  apperçoit  de  l'in- 
vention Se  des  chofes  agréables  ,  avec 
quelques  défauts  de  correction  dans 
les  parties  des  figures  principales.  On 
pourroit  pardonner  dans  les  Deflèins  ces 
négligences  ,  lorfqu'ellès  ne  font  pas 
confidérables ,  Se  qu'elles  font  compen- 
fées  par  beaucoup  de  feu  &c  d'efprit. 

L'idée  de  l'allégorie  du  Roi  placé 
au  Temple  de  Mémoire  ,  étoit  d'au- 
tant plus  difficile  à  rendre  avec  une 
nouveauté  noble  Se  intérefïante ,  que 
ce  Prince  a  déjà  données  plufieurs  occa- 
fions  aux  Peintres  de  l'emploïer.  C'eft 
cependant  le  fujet  que  le  Sieur  Huttin  a 
conçu  avec  le  plus  de  dignité ,  Se  expri- 
mé de  la  façon  la  plus  élégante.  Il  a 
placé  le  portrait  de  Louis  XV.  fur 


fur  U  Sculpture.  147 

un  piédeftal  en  colomne  au  milieu  du- 
Temple  ,  pour  laiuer  aux  Prêtrefïès 
l'efpace  d'agir  à  i'entour ,  de  de  l'or- 
ner pour  cette  confécration  de  tout  ce 
qu'il  a  pu  imaginer  de  plus  honorable 
&  de  plus  pompeux.  La  Gloire  ,  la 
Renommée  ,  la  Victoire ,  le  Tems  ,. 
l'Immortalité  font  tous  occupés  à  cette 
efpèce  d'Apothéofe.  Dans  le  groupe  des 
Grâces  y  leur  pofîtion  ,  leur  adtion  * 
leurs  belles  formes  remplirent  avec  une- 
exprefïion  neuve  l'idée  que  les  meilleurs 
Poètes  nous  en  ont  donnée.  Ce  Deneirt 
a  également  fatisfait  &  les  bons  Fran- 
çois ,  de  les  connoifïèurs  par  le  choix, 
du  Sujet ,  &  par  le  gracieux  répandit 
fur  le  total  de  la  composition ,  auffi  a* 
t'il  eu  l'avantage  fur  les  trois  autres. 

Celui  de  feu  Moniîeur  de  Niert  pre«* 
mier  Valet  de  chambre  de  Sa  Majefté; 
&  Gouverneur  du  Louvre ,.  gravé  par 


Ï48  Réflexions 

le  Sieur  Cochin  ,  a  de  quoi  furprendre 
dans  un  particulier  qui  ne  pratiquent  le 
Deflèin  que  pour  fon  amufement ,  & 
n'avoit  que  très  peu  de  tems  à  lui  don- 
ner. C'eft  une  Bacchanale  dans  le  goût 
de  l'antique  le  plus  vrai  &c  le  plus 
agréable ,  on  y  trouve  fes  Grâces  &  fa 
noble  /implicite.  Il  eft  dédié  à  Mon- 
sieur de  Bachaumont  Ton  ami,  qui  a 
de  Pefprit ,  de  la  délicatefTe ,  &  un 
goût  éclairé  pour  les  beaux  Arts. 

Les  eftampes  du  Sieur  le  Bas  qui 
décorent  les  etnbrafures  de  plufieurs 
croifées  ,  font  toujours  admirées  par 
l'habileté  de  fon  ourin  que  l'on  peut 
appeller  le  rival  du  Piùfceau.jCelui  du 
Sieur  Moyreau  ne  lui  cède  point  pour 
rendre  avec  deux  couleurs  ,  d'un  arc 
&  d'une  reflemblance  qui  étonne  tou- 
jours y  les  manières  &  les  fineflès  de 
nos   meilleurs  peintres    Flamands  >  & 


fur  ta  Gravure.  •  149 

particulièrement  de  Vauvremans ,  celui 
qui  eft  aujourd'hui  le  plus  à  la  merde, 

Les  beaux  Burins  des  Sieurs  du  Chan- 
ge âgé  de  quatre  -  vingt  ans  ,  l'Epicié  , 
Surugue  nous  ont  offerr  des  nouveautés 
agréables  6c  dont  on  a  admiré  lJarc 
avec  juftice. 

Les  favans  ont  regardé  avec  une 
grande  fatisfaébion  les  empreintes  ex- 
pofées  des  Médailles,  &  des  Jettons 
du  Sieur  Vivier  fî  célèbre  par  toute 
l'Europe  dans  Part  difficile  de  cette 
efpèce  de  gravure  que  l'on  ne  fàuroit 
trop  eftimer.  Quel  art  en  effet  eft  plus 
précieux  que  celui_dont  les  ouvrages 
réfiftent  à  la  voracité  du  tems ,  éter- 
nifent  les  édifices,  les  grands  établifïè- 
mens ,  les  évènemens  les  plus  impor- 
tans  des  règnes  ,  &  les  actions  des 
Rois  !  Combien  défaits  célèbres  chez 
les   Grecs  ôc  les   Romains  ,   combien 


*  jo  Réflexion 

d'Edifices  qui  ont  été  détruits ,  de  Tem- 
ples ,  d'Arcs  de  triomphe  &  de  monu- 
mens  fameux  &  remarquables ,  &  qui 
nous  auroient  échapés  fans  les  Médail- 
les qui  les  ont  furpafles  en  durée  ,  & 
•qui  font  aujourd'hui  les  preuves  les  plus 
-authentiques  &  les  plus  inconteftables 
de  l'Hiftoire  !  Celles  du  jfiécle  de 
Louis  XIV.  &  celles  du  fiécle  de 
Louis  XV.  qui  ne  leur  font  point 
inférieures  >  feront  recherchées  dans  des 
tems  extrêmement  éloignés  ,  comme 
aujourd'hui  les  Médailles  Grecques  ou 
du  haut  Empire.  Mais  ce  ne  fera  pas 
feulement  l'habileté  de  nos  Graveurs 
qui  les  rendront  précieuiès  3  les  favans 
Académiciens  établis  par  nos  Rois  à 
ce  fu jet ,  auront  la  meilleure  part  à 
leur  prix  &  à  leur  valeur.  Monfieur  de 
Bofe  eft  un  des  plus  diftingués  en  ce 
genre.   Si  l'on  admire  avec  juftice  la 

belle 


fur  la  Gravure.  ijt 

exécution  du  Sr.  du  Vivier,  les  belles 
formes  puifées  dans  l'excellent  goût  de 
l'Antique  par  le  Sieur  Bouchardon  dont 
les  favans  craïons  en  font  aujourd'hui 
les  Deffeins  ,  quelle  eftime  ne  doît-on 
pas  à  ce  célèbre  Académicien  qui  eft1 
l'ame  de  nos  Médailles  >  qui  fait  ad- 
mirer fa  penfee  dans  les  devifes  malgré 
la  gêne  &  la  contrainte  de  la  brièveté 
à  laquelle  il  eft  affujetti  i  Mais  fes  heu- 
reufes  devifes   &   fa  profonde   érudi- 
tion lui  font  un  mérite  bien  inférieur  à 
celui  d'avoir  des  mœurs  douces ,  mo- 
deftes ,  propres  à  1  amitié  ;,.de  chercher 
à*  mettre  de  l'agrément  dans  la  fociété-, 
d'apporter  dans  les  entretiens  des  tons 
modérés  ,  Se  fans  orgueil  ni  fupériorite* 
Voilà  à  mon  gré  les  feuls  favans  ai- 
niables. 

Toutes  les  différentes  beautés  de  ces 
ouvrages  exigeraient   avec  juilice   un 

Q 


i/i  Réflexions 

examen   &  des  éloges  qui  paflèroienc 
l'étendue  que  l'on  s'eft  propofée  dans 
cet  écrit ,.  dont  le  but  a  été  uniquement 
d'encourager  les  talens  de  nôtre  Ecole 
dans  des  tems.  peu  favorables  aux  Arts. 
On  a  eu  principalement  en  vue  de  faire 
parler  à  nos  célèbres  Artifles  les  fenti- 
rnens   du  Public  fur    leurs  Ouvrages. 
Gn  n'a  point  voulu  les  tromper  par  des 
louanges  exceffives  ou  fans  exceptions 
qui  ne  les  auroient  ni  flatés  s  ni  corri- 
gés.. On  a  ufé  de  tout  le  ménagement 
pofïîble  en  leur  faifant  parrdes  remar- 
ques du  Public  fur  quelques  endroits 
moins   admirables  ,    ou,  fur    quelques 
légers  défauts  qu'un  Auteur  ne  fauroit 
jamais   voir   fans  le  fêcours  d'un  œil 
étranger  ,  connoiflèur,  &  defintereflè^ 
On  eft  perfuadé  qu'une  critique  fage 
&  mefurée  >  renfermée  étroitement  dans 
les  bornes  de,la  polkeflè  ^  &  de  ce  qu* 


fur  U -Peinture,  ïj$ 

l'on  fe  doit  réciproquement  dans  la 
Société ,  bien  loin  de  nuire  à  aucun 
talent,  doit  au  contraire  beaucoup  fla- 
ter  celui  qui  le  poflède  >  fbit  en  mettant 
fès  beautés  au  grand  jour  >  foit  par 
l'examen  &  l'attention  particulière  qu'il 
a  mérité  du  Public. 

Que  ceux  fur  lefquels  on  a  gardé  le 
izlence»  nepenfènt  pas  que  l'on- n'eût  pu 
parler  d'eux  avàntageufement  fans  blet 
fèr  la  vérité.  Il  n'y  a  point  eu  d'Ou- 
vrage expofé  dans  le  Sallon  ,  où  l'on 
n'ait  trouvé  quelques  beautés  à  remar- 
quer ,  mais  la  feule  raifon  a  été  la 
brièveté  '.que  l'on  s'étoit  propofée  dans 
Cet  écrit  pour  échaper  au  dégoût  infé- 
î>arable  des  louanges.    , 

On  confeille  fort  aux  Auteurs  de  mé- 
j>rifer  avec  fermeté  >  loin  d'en  être  dé- 
couragés ,  la  cenfiire  anière  3c  maligne 
4e  plusieurs  fpe&atewrs  pendant  l'expo- 

Oij 


*54  Réflexions 

fition,  avec  autant  d'injuftice  que  d'îrW 
décence.  Dans  la  plupart ,  c'eft  jalou- 
fie  ;  chez  d'autres ,  c'eft  humeur  &  an- 
tipathie à  toute  approbation,  fbuvent 
un  ridicule  orgueil  de  ne  point  vou- 
loir plier  fbn  fentiment  à  l'opinion  com- 
mune \  chez  d'autres  enfin  c'eft  une  va- 
nité allez  folle  de  prétendre  fe  faire  re- 
marquer par  la  fingularité  de  fes  décî- 
fions  &  le  travers  de  fon  efprit,  ne  pou- 
vant fe  diftinguer  par  ia  droiture. 

Une  confblation  des  plus  fenfibkfc 
aux  perfonnes  aflèz  malheureufes  pour 
ne  pouvoir  fervir  leur  Patrie  ni  par 
l'utilité  ,  ni  par  l'agrçment  ;  ce  {eroit 
.celle  de  travailler ,  &  d'aider  à  la  ré- 
putation de  ceux  qui  l'honorent  par 
leurs  talens ,  de  les  publier  par  tout , 
Se  par  -  là  d'exciter  chez  leurs  amateurs 
îes  plus  éloignés  le  deiir  d'en  embellir 
îems   cabiners  dans  îes  Provinces  ,  £c 


fur  ta  Peinture.  ï$f 

dans  les  Païs  étrangers.  Y  réiïfïîr ,  ce 
fèroit  contribuer  en  quelque  forte  à 
l'intérêt  des  Auteurs  3  &  à  la  gloire  de 
la  Nation.  Qyel  bonheur  pour  ce  foi« 
fok  écrit  qu'un  pareil  fuccès  I 


W  1  N, 


^^A^AtA^A*^A^»J 

*• -k  4> 4t  •jAk-^' »V ■  jAk-J* &.  >k 

A^^A^Ta^j^A^A^A 
>T»uATAÏ^A?ATAy4 

AÏA>ÏAtAîAtAT« 

A*A*A*A*A*A*A 

f4>  4/  *t«W^W»iy  «A*  «^  ^  sl/W-jfc^ 

*  *  #  *A*AA*A*A*i 


t 


' V* V* V* V*Hc *>>